Ici et maintenant

Groupe belge de la Fédération anarchiste

Élimination de la discrimination raciale, vite !

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La Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale est célébrée chaque année le 21 mars, pour commémorer ce jour de 1960 où, à Sharpeville (Afrique du Sud), la police a ouvert le feu et tué 69 personnes lors d'une manifestation pacifique contre les lois relatives aux laissez-passer imposées par l'apartheid.

Le système capitaliste n’aurait pas pu devenir la structure mondiale qu’il est aujourd’hui sans l’oppression coloniale des populations d’Afrique, des Amériques et d’Asie, ni la traite des esclaves. Le racisme fait partie de son fonctionnement. Il se sert des différences raciales et régionales pour dresser les exploité·e·s les un·e·s contre les autres, pour les empêcher de s’unir contre leur véritable ennemi, la minorité qui les exploite en se remplissant les poches d’oseille : la bourgeoisie, les riches, les affairistes !

La classe des travailleuses et des travailleurs n’a rien à attendre de toutes ces divisions religieuses, nationales et raciales. Les nébuleuses populistes nous poussent à la zizanie alors que nous, les exploité·e·s de tous les pays et de toutes les couleurs, avons le même intérêt à nous défendre des agressions brutales contre nos conditions de vie, contre les blocages et les réductions des salaires, le chômage, les expulsions, contre la diminution des prestations sociales et l’allongement de l’âge de la pension, contre la violence de l’État capitaliste et ses keufs, contre toute forme de contrôle aux frontières. Notre classe sociale doit songer à se rassembler. Unissons nos forces ! Il nous faut réfléchir afin d’organiser la société sur de nouvelles bases. C’est impérieux, c’est nécessaire.

Nous ne devons jamais perdre de vue que nos ennemis n’ignorent rien des conséquences des dispositifs politiques et policiers qu’ils établissent. S’ils le font en connaissance de cause, ils sont doublement coupables, d’atteinte à la vie d’autrui et de mensonge. Le racisme d’État tue, en mer, dans les aéroports, dans les centres fermés. Nous ne devons pas non plus perdre de vue le racisme ordinaire, attisé par des groupes et partis d’extrême-droite, appelant régulièrement à la violence et à la haine xénophobes. La vieille recette qui consiste à monter les prolétaires de tous pays les un·e·s contre les autres continue de faire florès, surtout lorsque les peurs et les frustrations générées par l’exploitation capitaliste laissent quantité de personnes démunies et vulnérables, surtout dans les milieux populaires.

C’est aussi à nous, groupes et mouvements de lutte sociale, de ne pas abandonner le terrain aux populistes et aux confusionnistes de l’extrême-droite raciste. C’est à nous d’annoncer à nouveau des horizons d’espoir et de solidarité adelphiques. Sans tomber dans les travers d’un universalisme intransigeant. En comptant réellement sur la diversité des sensibilités, des cultures et en s’enrichissant réciproquement des pratiques de liberté et de délibération en provenance de tous horizons. A nous enfin, de ne pas laisser la prérogative de la lutte antiraciste aux partis, syndicats et associations subsidiées, corps intermédiaires détenteurs de la bonne conscience et du paternalisme petit-bourgeois. C’est en luttant contre les privilèges que nous pourrons avancer vers une société d’égales et d’égaux, pour l’émancipation des peuples et une société autogérée.


Groupe Ici & Maintenant (Belgique) de la Fédération, 21 mars 2021



La révolte sociale du 18 mars 1886 à Liège

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Entre 1881 et 1885, en Belgique, le mouvement anarchiste connaît une période d’activités composée de hauts et de bas. Si le foyer actif est principalement concentré sur Bruxelles dans un premier temps, c’est lors de la commémoration de la Commune de Paris, en 1886, que le centre de gravité de l’action anarchiste va se déplacer de manière spectaculaire, vers Liège.

La Wallonie, dans le dernier quart du 19ème siècle, constitue la partie la plus industrialisée et la plus prospère du jeune royaume de Belgique. Le pays compte d’ailleurs parmi les nations les plus avancées en matière de développement du capitalisme industriel. Le suffrage universel n’existe pas, c’est le suffrage censitaire qui prévaut (116 000 « repus » contre 5 à 6 millions « d’esclaves »). Quelques ébauches de protection sociale ont vu le jour, fruit des revendications et de l’organisation de la contestation au sein du monde ouvrier. Les classes dirigeantes entretiennent l’illusion d’un climat social apaisé. Les anarchistes, considérés comme des agitateurs et soupçonnés de complot contre l’État, sont dans le viseur des dirigeants.

Au cours de l’année 1885, la répression a posé sa grosse patte sur le mouvement anarchiste, du côté de Bruxelles. Une descente de police de grande envergure a eu lieu au mois de juillet, rue Notre-Seigneur, très disproportionnée eu égard aux résultats. On ne découvre pratiquement rien qui démontre une menace émanant des milieux anarchistes contre la Sûreté de l’État. N’empêche, plusieurs anarchistes étrangers sont expulsés, déforçant ainsi le mouvement dans la capitale belge. Les animateurs bruxellois dudit mouvement, Monier, Govaerts, Stuyck, Wysmans, entre autres, commencent à tourner leurs regards vers la Wallonie.

Le 10 janvier 1886, un meeting se tient à Liège. Il est organisé par le groupe anarchiste liégeois, à l’instigation d’Edouard Wagener, Jean-Joseph Rutters et François Billen. Wagener a un passé de révolutionnaire déjà chargé. Admirateur de Bakounine, il a été sous-officier mais rétrogradé il finit par quitter l’armée. Tour à tour négociant, commissionnaire, fabricant de chaise, on le retrouve cabaretier en 1881, au Rivage à Herstal, une ville du bassin industriel liégeois. La même année, il prend la présidence de la fédération liégeoise de l’AIT, répondant au doux nom des « Va-nus-pieds ». Il semble faire partie des quelques uns qui lancent, au début de l’année 1886, le Cercle des anarchistes de Liège. Débuts en fanfare pour le groupe liégeois, qui organise le 10 janvier un premier meeting : « Pourquoi nous sommes révolutionnaires, pourquoi nous sommes anarchistes ». En février, le groupe annonce qu’il va organiser des réunions hebdomadaires. Dans la foulée, des groupes se constituent dans les villes de Tilleur, Jemeppe et Flémalle, toujours le long du bassin mosan. Verviers, la « ville lainière », non loin de Liège, est dotée d’une implantation anarchiste plus ancienne, notamment autour du cercle « L’étincelle ». Bruxellois et Verviétois soutiennent leurs compagnons liégeois en envoyant des orateurs prendre la parole lors des meetings.

Peu avant le 18 mars 1886, le groupe des Liégeois annonce l’organisation d’un défilé suivi d’un grand rassemblement, à l’occasion des 15 ans de la Commune de Paris. L’appel est signé des noms de Rutters et Billen. Il est placardé sur les murs et l’on y lit : « Continuerons-nous à laisser nos femmes et nos enfants sans pain quand les magasins regorgent des richesses que nous avons créées ? Laisserons-nous éternellement la classe bourgeoise jouir de tous les droits ? » Pour autant, les anarchistes craignent que leur initiative ne rencontre guère de succès, au point qu’ils prévoient d’emblée un « plan B » si les participants ne se pressent pas au portillon… Les autorités communales, de leur côté, ne prennent guère au sérieux ce qu’ils considèrent comme les rodomontades de quelques factieux isolés. Aussi le dispositif policier prévu par le bourgmestre-sénateur Julien d’Andrimont est-il relativement modeste.

Le 18 mars au soir, ô surprise… la place Saint-Lambert, au cœur de la cité ardente (Liège) est noire de monde. Deux à trois mille manifestants se sont rassemblés, des hommes, des femmes, des enfants, mineurs, ouvriers, venus de Liège et des alentours, de Verviers, mais aussi des Flamands, des Allemands… Il y a de la fièvre révolutionnaire dans l’air. Le peuple est en colère, car la crise est sévère. Les possédants se plaignent, pourtant ce sont tous ces « meurt-de-faim » qui en subissent les conséquences : les journées de treize heures sont leur lot et la paye diminue régulièrement. L’hiver est rude cette année là et le spectre du chômage hante les rangs ouvriers. Le défilé doit conduire le cortège jusqu’à la place Delcourt, en Outremeuse, au Café Le National, où les orateurs doivent prendre la parole. Sur le trajet, les chants fusent, on entend des « Vive la révolution », des « Morts aux bourgeois », des « Vive l’anarchie ». Autant dire que la température monte d’un cran en passant devant les vitrines des quartiers chics. Wagener se hisse sur les épaules d’un compagnon et harangue la foule : « Qui a produit ces richesses ? C’est vous, c’est l’ouvrier ! Vous les faites et vous n’en jouissez pas ! Vous mourez de faim avec vos femmes et vos enfants et vous laissez là toutes ces richesses... C’est que vous êtes des lâches ! » C’est l’étincelle qu’il faut pour mettre le feu aux poudres. Des vitrines sont brisées, on assiste à des scènes de pillage.

Pendant ce temps, le bourgmestre est en train de se taper des huîtres au cours d’une réception donnée en l’honneur du musicien Franz Liszt. Bientôt, les agapes sont interrompues par le tumulte d’une foule en colère qui s’est massée devant l’Hôtel de Ville. Un peu partout en ville, des foyers insurrectionnels inquiètent les bons bourgeois. Les autorités font intervenir en catastrophe un bataillon de gendarmerie tenu en réserve. Quarante-sept arrestations vont clôturer ce premier spasme insurrectionnel. Wagener lui-même, rentré tranquillement chez lui en train vers 22 heures, est arrêté le lendemain au saut du lit. Le surlendemain, le calme est revenu dans la cité ardente.

Il semble bien que la caste des possédants ait été incapable de détecter la capacité d’initiative des masses populaires. Le plus flagrant indice se fait jour si l’on considère que les quelques anarchistes organisés seront eux-mêmes pris de court par la tournure des événements et n’auront pas réussi à tirer parti de ce vent de révolte. C’est l’avis de l’anarchiste allemand Johann Neve, qui séjourne dans la région à la même période : « Je vous assure, écrit-il à Victor Dave, que s’il y avait eu un homme intelligent à cette manifestation, les insurgés auraient été les maîtres de la situation en deux heures de temps et les choses auraient pris une autre tournure. » Entre échauffourée et insurrection, les événements ont un avant-goût de révolution sociale manquée. Si ce n’est que la colère s’étend et déborde les limites de la ville de Liège proprement dites.

En effet, à quelques kilomètres de Liège, à Seraing, des tensions se sont élevées entre les mineurs et la direction du charbonnage de la Concorde (Jemeppe). Les mineurs - les houilleurs - entrent en action le lendemain de l’émeute liégeoise, sans lien direct d’organisation avec elle. Des tracts anarchistes sont diffusés le 19 mars et, dans un premier temps, la situation reste calme. Le lendemain, en revanche, c’est jour de paye et les houilleurs cessent le travail, de Tilleur à Flémalle sur la rive gauche de la Meuse, et d’Ougrée à Seraing sur la rive droite. Les revendications tiennent en peu de mots : augmentation des salaires, réduction du temps de travail et amélioration des conditions de travail. Eu égard aux événements de l’avant-veille à Liège, du côté des autorités, on est échaudé ! Le couvre-feu est instauré dès le 20 mars. Le dispositif mobilisé est considérable. En plus des forces de gendarmerie, le gouverneur provincial sollicite l’envoi de troupes : bataillons et escadrons convergent vers le bassin houiller. Les bords de la Meuse fourmillent de bonnets de gendarmes à poil (ou de bonnets à poil de gendarmes, sur ce point, les avis divergent)... C’est un véritable état de siège ! Dans un tel climat, les tensions montent. Des petites échauffourées éclatent, des bris de vitrine, des dégradations de biens matériels. Finalement, les premiers coups de feu sont tirés par la troupe et les premiers blessés tombent.

« La grève au pays de Liège eut la violence, mais aussi la courte durée d’une bourrasque », dira l’historien Van Kalken. C’est que la répression allait s’avérer très dure, en termes de peines de prison. La grève constitue toujours à cette époque une action illégale. Une quarantaine de prévenus se retrouvent condamnés, dès le 24 mars, à des peines allant de quatre à seize mois, pour avoir pris part à « l’affaire des anarchistes du 18 ». C’est sans doute aussi le manque de ressources des grévistes qui eut raison de leur entreprise. Sur les revendications des ouvriers, comme il se doit, les patrons des charbonnages vont par ailleurs demeurer inflexibles.

Au premier regard, il s’agit d’une série d’émeutes à caractère insurrectionnel et de grèves ne répondant à aucune stratégie concertée. Les événements n’ont a priori aucun lien entre eux. Mais si l’on considère les choses du côté des détenteurs de la violence légale, gouvernants et possédants furent prompts à mobiliser des moyens impressionnants, lorsqu’ils prendront la mesure de ce qui menaçait de se dérouler. On peut bien parler d’une « grande peur » de la bourgeoisie d’affaire en 1886… et du moment où le monde ouvrier, en Wallonie, prend conscience de sa capacité à transformer ses conditions de vie et de travail en résistant à l’oppression. L’épisode liégeois constitue le premier acte d’une pièce dont les suivants allaient se dérouler un peu plus à l’ouest, à Roux, notamment, du côté de Charleroi.



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