Ici et maintenant

Groupe belge de la Fédération anarchiste

Causerie libertaire – La Commune des Lumières, par Jean Lemaître

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Mardi 14 juin à 18h.

A la librairie Livre ou verre – Passage de la Bourse, 6 (Charleroi)


C’est l’histoire d’une Commune anarchiste, fondée début du siècle dernier dans un village de l’Alentejo rural du Portugal, à une époque (la guerre 14-18) où le peuple, dans ce pays, crève de faim et de misère. Elle réunit des cordonniers et leurs familles, soudés par un même esprit coopératif, partageant à parts égales le fruit de leur travail.


En quoi, et pourquoi cette expérience, pionnière, de Commune anarchiste en Alentejo du début du siècle dernier, est tellement riche en enseignements aujourd’hui, et plus que jamais ?


Jean Lemaître et le groupe Ici & Maintenant vous invitent à le rencontre de cette expérience libertaire collective, à travers, entre autres, la figure de l’’anarcho-communiste Antonio Gonçalves qui fut l’initiateur de la Commune des Lumières dans le village du Vale de Santiago.


Le lieu : Livre ou verre, librairie indépendante et conviviale qui propose des boissons et douceurs sucrées/salées artisanales, locales et originales. Passage de la Bourse, 6 à Charleroi

Lectures anarchistes • le premier roman de Gouzel Iakhina

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Je n'ai pas les mots pour dire combien j'ai aimé le roman fleuve de cette jeune auteure d'origine russe tatare, née à Kazan, ayant ensuite étudié à l’École de cinéma de Moscou, en s'y spécialisant dans l'art de la scénarisation.

L'action se déroule entre 1930 et 1946 et décrit la vie de souffrance et toute en contradictions de Zouleikha, paysanne tatare de 25 ans (au début de l'histoire), analphabète, ne parlant que quelques bribes de russe. Les Tatares forment en Russie une très ancienne branche de la religion et culture musulmanes. Ils croient en Allah, de façon curieusement païenne. Par exemple, ils évitent de s'aventurer dans la profonde forêt voisine, de peur que des esprits malins leur jettent des mauvais sorts.

Début des années ‘30: le régime stalinien renforce (davantage encore) sa répression de toute dissidence. Dans la région de Kazan, il s'acharne contre les Tatares, ces "koulaks" qui refusent obstinément de rejoindre les kolkhozes "communistes" (en réalité, parangons de bureaucratie, d'autoritarisme et de capitalisme d’État), en s'accrochant à leur lopin privé, et leur seule richesse: trois vaches, deux moutons, une jument... Pour le pouvoir en place, ce sont des nuisibles, une "espèce" réactionnaire à éradiquer.

Des agents de la sinistre Tchéka débarquent dans ces villages tatars. A la force de leur fusil, ils arrachent ces paysans à leur terre. Les jette dans des trains infects, pour les déplacer tout au bout de la Sibérie, dans des territoires vierges d'habitants et au climat si rude. On les appelle des "délocalisés". Là où ils aboutissent, ce n'est pas tout à fait les goulags (sommet de l'horreur), car à l'intérieur de la zone attribuée, les déplacés disposent d'un maigre espace de liberté. Mais les conditions de vie et de travail n'en sont pas moins insupportables.

La jeune Zouleikha, pourtant si frêle, y survit. Et même, elle "ouvre les yeux" et découvre de nouveaux modes relationnels et d'existence qui, paradoxalement, la libèrent de ce qui l'emprisonnait dans son ancien village tatare: un mari brutal, un horizon bouché. En cette colonie sibérienne, au bord du fleuve Angora, au bout du monde, Zouleika nourrit son esprit de ce qui l'entoure. Au contact de cette tribu cosmopolite de réprouvés et dissidents de toutes origines sociales et culturelles, la jeune Tatare abandonne certains préjugés. Elle n'a plus peur de s'aventurer dans la Taïga. Elle se découvre aussi en femme amoureuse, (enfin) réceptive à toute la gamme des sentiments et au plaisir physique.

Gouzel Iakhina a eu un mal de chien à publier ce/son premier roman. Certains éditeurs russes lui reprochaient de raviver ce passé d'oppression de la Russie, qu'ils préfèrent voir passé sous silence. D'autres, au contraire, ne supportaient pas que l'écrivaine apporte des nuances sur ces années de plomb.

Les lecteurs en ont pensé autrement, et bien heureusement! En effet, "Zouleikha ouvre les yeux" a finalement connu un immense succès en Russie. Depuis, ce magnifique récit, écrit d'une plume flamboyante, imagée, romantique, a déjà été traduit en 20 langues....

Le succès récompense les audacieux et audacieuses comme Gouzel Iakhina, qui se gardent de tous les conformismes (y compris littéraires). Et je m'en réjouis...

Jean Lemaître
https://jeanlemaitre.com

Gouzel Iakhina, "Zouleikha ouvre les yeux", Éditions Libretto, 2021, 556 pages

Le tour du Mundaneum en 80 minutes

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[Article paru initialement dans le Monde Libertaire n° 1833 de novembre 2021]

Récemment, nous sommes allés interviewer Jacques Gillen, archiviste et responsable des fonds relatifs à l'anarchisme et au pacifisme au Mundaneum de Mons. Centre d’archives, espace muséal, lieu d’expositions, le Mundameum sous sa forme actuelle est le dépositaire des collections de Paul Otlet et Henri La Fontaine, connus entre autres pour avoir créé la classification décimale universelle (CDU). Ces collections brassent toute une série de sujets puisque leur ambition était, à l’origine, très universaliste. Un riche fonds anarchiste y est conservé. Et l’entretien a effectivement duré 80 minutes.

Christophe (gr. Ici & Maintenant) : Eh bien Jacques Gillen, vous nous racontez la folle histoire de ce projet ?

Jacques Gillen : Le point de départ du Mundaneum se situe en 1895. A cette époque, Paul Otlet et Henri La Fontaine, tous deux avocats, et passionnés de bibliographie, se sont rencontrés dans le cabinet d’Edmond Picard. Ils ont collaboré avec ce dernier sur un recueil bibliographique des publications juridiques. Cela leur a donné l’idée de réaliser un répertoire bibliographique universel. En 1895, ils créent l’Office international de bibliographie (ce qui allait devenir le Mundaneum) dont le premier objectif était de développer ce répertoire à tous les domaines du savoir humain. L’idée même de ce répertoire, c’était de rassembler toutes les publications qui avaient été publiées dans le monde entier, et ce depuis la création de l’imprimerie. Et dans toutes les langues. On est à la fin du XIXe siècle, c’est encore envisageable… Même si à l’époque, tout ce travail se faisait à la main tout de même !… De nos jours, ce serait complètement fou. Otlet et La Fontaine ont donc commencé ce travail sur des fiches : ils ont imaginé un système de fiches qui a été utilisé dans nombre de bibliothèques. Ils ont également imaginé le dispositif de meubles à tiroirs pour ranger ces fiches (voir illustration) et enfin, ils ont conçu le système de classification décimale universelle permettant de classer par thématiques les fiches bibliographiques ou les publications.

Ce système de classification se fonde sur le système décimal imaginé par Melvil Dewey, un bibliothécaire américain, qui ne correspondait cependant pas tout à fait avec ce que souhaitaient Otlet et La Fontaine. Leur système est bien plus complexe. Le principe du système de Dewey est de classer les connaissances en dix catégories, numérotées de 0 à 9. Par exemple, toutes les publications qui ont trait à l’histoire vont être rangées dans la catégorie 9. Chaque catégorie peut reprendre elle-même dix sous-catégories (91, 92, …) et en affinant les nombres, on peut définir de manière de plus en plus précise le sujet d’un livre, d’un périodique ou d’une autre publication. Otlet et La Fontaine ont développé ce système en utilisant des combinaisons de signes de ponctuation et de nombres, pour pouvoir ramasser des informations du type : ce livre traite des abeilles, au Brésil, au XVIIIe siècle et a été publié en Allemagne en 1950… (C’est un exemple !…)

CI&M : Voilà donc la première étape de leur entreprise : rassembler les références bibliographiques de toutes les publications existantes…

JG : Oui. Mais ils ont voulu aller plus loin en rassemblant physiquement les connaissances du monde en un seul endroit… ! Du coup ils se sont intéressés à la documentation. C’est à ce titre que Paul Otlet est considéré comme un des pères de cette discipline. Différentes sous-sections ont été développées dans le sillage du Mundaneum, consacrées l’une à la presse, l’autre à la photographie, ainsi qu’un répertoire universel de documentation… Dans ce répertoire thématique, les coupures de presse et différentes sortes de documents étaient classées quasiment au jour le jour. Le but était d’avoir une information mise à jour, actualisée le plus possible, sur un sujet. Le projet s’est étendu également à la dimension iconographique : la collection a accueilli des affiches, des plaques de verre, des cartes postales, etc. sur toute une série de sujets, le but étant, je le rappelle, d’être le plus universel possible… !

Pour cette entreprise, Otlet et La Fontaine reçoivent un prix lors de l’Exposition universelle de 1900. En 1910, ils créent un musée à l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles, ce qui aura pour conséquence d’aboutir à l’installation de leur entreprise dans le Palais du Cinquantenaire. C’est donc là qu’ils installent leur « Musée international », qui devient peu après le « Palais Mondial-Mundaneum » et qui rassemble tous les instituts qu’ils avaient créés précédemment : Musée international de la presse, Institut international de photographie, Office international de bibliographie, Union des associations internationales… Cette dernière, fondée en 1907, vise à offrir à leur projet une dimension internationale, universaliste, d’un point de vue un peu plus politique. Elle existe d’ailleurs toujours actuellement.

CI&M : La dimension internationale semble être au cœur de leurs préoccupations…

JG : C’est en effet une époque où l’internationalisme se développe considérablement, favorisé en cela par le développement des moyens de communication. L’objectif sous-jacent à toutes ces organisations, c’est de favoriser la paix par la connaissance, en partant du principe que mieux les peuples se connaîtraient les uns les autres, moins il y aurait de facteurs de guerre. Henri La Fontaine était lui-même un pacifiste de premier plan. Il a d’ailleurs reçu le Prix Nobel de la Paix en 1913, il a été président du Bureau international de la Paix… Par ailleurs, l’objectif ultime de Paul Otlet (plus que celui de La Fontaine) était la création d’une Cité mondiale. Il s’agissait de fonder une ville qui serait dédiée à la connaissance, dont l’autorité serait placée au-dessus de celle de la Société des Nations (SDN, ancêtre de l’ONU, NDLR). C’était une approche très positiviste. Très idéaliste aussi sans doute… !

L’objectif sous-jacent à toutes ces organisations, c’est de favoriser la paix par la connaissance, en partant du principe que mieux les peuples se connaîtraient les uns les autres, moins il y aurait de facteurs de guerre.

Pour résumer, leur projet originel devient de plus en plus ambitieux et revêt même un caractère utopique. Et même un aspect politique, puisqu’on dépasse le cadre de la bibliographie et de la documentation pour avoir un impact sur la société, sur le monde. La désillusion fut immense, évidemment, puisque les deux têtes pensantes du projet eurent le malheur de connaître les deux conflits mondiaux (La Fontaine s’éteint en 1943, Otlet en 1944).

CI&M : La Première Guerre mondiale a dû mettre un frein à leur projet, on imagine.

JG : En effet. Le Palais Mondial n’est installé complètement au Parc du Cinquantenaire qu’en 1920. Les années 20 constituent un peu l’âge d’or du Mundaneum : Otlet et La Fontaine ont pu s’installer dans un beau bâtiment, ils reçoivent des subsides du gouvernement, et ils peuvent développer leur projet de façon considérable et ce jusqu’en 1934. C’est en effet à cette date que le gouvernement décide de fermer le Mundaneum… Probablement est-ce une part d’incompréhension par rapport à la mise en œuvre du projet (qui s’intitule « musée » mais n’en adopte pas les codes, il s’agit d’avantage de présentations à caractère pédagogique) mais aussi parce que le pacifisme, en 1934, ne semble plus tellement à l’ordre du jour… Au mieux, il génère un scepticisme poli dans le chef des instances gouvernantes…

A partir de ce moment, le musée est fermé, les collections sont inaccessibles. Paul Otlet poursuit son activité à son domicile, avec son équipe. C’est durant ces années qu’il conçoit les plans d’une « Mondothèque », une sorte de meuble dont chacun pourrait disposer chez soi, préfiguration de l’ordinateur ou de la tablette numérique. La Mondothèque ne fut cependant jamais construite par Paul Otlet. Une version en a été réalisée à l’occasion de l’exposition Renaissance 2.0 à Mons en 2021. En 1941, le Palais du Cinquantenaire est réquisitionné par l’occupant allemand. Du coup, les collections sont entreposées dans le parc Léopold. Après l’âge d’or, l’âge sombre… ! Commence en effet la période d’errance du Mundaneum, qui va durer jusqu’en 1993. Toujours est-il qu’après l’évacuation du Palais du Cinquantenaire, une partie des collections va au pilon, une partie a dû être perdue ou volée, suppose-t-on. Les collections papiers sont stockées dans de très mauvaises conditions, en termes de conservation. A partir de 1971, les collections sont ballottées d’un endroit à l’autre de Bruxelles. Elles avaient fini par atterrir dans un parking souterrain, sous la Place Rogier… Enfin, en 1993, à l’initiative des quelques personnalités du monde politique, comme Elio di Rupo, originaire de la région montoise, les collections trouvent place à Mons, dans le bâtiment de l’Indépendance. Le lieu a été aménagé et, depuis 1998, doté d’un espace d’exposition dont la scénographie a été conçue par François Schuiten et Benoît Peeters (auteurs de bande-dessinée belges, notamment de la série Les Cités obscures, NDLR). Dans les années 80, les collections avaient été rachetées par la Fédération Wallonie-Bruxelles, si bien qu’aujourd’hui, l’actuel Mundaneum est reconnu comme centre d’archives de la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique (regroupant des archives privées et non émanant d’une institution publique). Il abrite quelque 6 kilomètres courants de documents (journaux, cartes postales, photographies, plaques de verre, fonds d’archives, livres, brochures, etc.) Comme dit plus haut, le Mundaneum s’est spécialisé dans les fonds documentaires autour des trois thématiques citées (féminisme, pacifisme, anarchisme). Il conserve également les papiers personnels d’Otlet et La Fontaine.

CI&M : Comment le projet a-t-il intégré la thématique féministe ?

JG : La présence du fonds de documentation féministe s’explique parce que Henri La Fontaine était un des premiers féministes en Belgique, depuis l’affaire Marie Popelin, en 1888 (première femme docteure en droit de Belgique - les juridictions belges refusèrent de lui faire prêter le serment d'avocat en raison de son sexe, NDLR). Mais c’est aussi et principalement parce que sa sœur, Léonie La Fontaine, était très active au sein de la Ligue belge pour le droit des femmes. Elle fut également impliquée au sein du Mundaneum, prenant part à la constitution du Répertoire bibliographique universel dès ses prémisses et mettant en place l’Office central de documentation féminine en 1909.

CI&M : C’est à Otlet qu’on doit les innovations sur l’aspect documentaire, disiez-vous ?

JG : Le travail d’Otlet était assez visionnaire. On parle à propos du Mundaneum d’un Internet de papier. Disons que c’est un précurseur en ce qu’il a imaginé des moyens de diffuser l’information et de la partager. Dans un texte de 1907, il écrit que dans le futur, tout le monde disposera d’un petit téléphone qui lui permettra d’accéder à de la connaissance… Dans les années 20, il a l’idée des systèmes de vidéoconférence… Il imagine un moyen de consulter à distance, depuis une bibliothèque, un livre qui se trouve dans une autre bibliothèque… Tout cela demeurera sur papier mais il a conçu la possibilité de mettre en œuvre toutes ces technologies que nous employons aujourd’hui en quelques clics ! Il est également précurseur d’Internet de par le système de classification qu’il met en place, qui permet de faire toute une série de liens et préfigure le lien hypertexte. D’ailleurs le Répertoire bibliographique universel représente en quelque sorte le premier moteur de recherche, de papier certes, mais avec les moyens de l’époque, c’était ce qu’il y avait de plus avancé. La mise en œuvre de ce projet reposait sur des contacts avec un réseau international assez important, des contacts avec des bibliothèques du monde entier, comme par exemple celle de Rio de Janeiro. Cette collaboration internationale faisait partie du projet. Aujourd’hui, l’espace muséal permet de valoriser les collections en organisant des expositions, tout en restant fidèles aux valeurs des fondateurs, la paix et l’universalité.

Le Mundaneum rassemble une collection de journaux anarchistes, du monde entier. D’un point de vue documentaire, c’est extrêmement précieux, car les anarchistes ont plutôt tendance à éviter de laisser des traces, pour échapper aux tracasseries notamment policières…

CI&M : Nous avons parlé pacifisme, nous avons parlé féminisme… Qu’en est-il de ce fonds de documentation anarchiste ?

JG : En fait, dans les 20 et 30, l’un des collaborateurs d’Otlet n’était autre que Hem Day (Marcel Dieu). Disons que c’était l’un des contributeurs, parmi d’autres, qui ont pris part au projet, de façon bénévole ou salariée. C’est lui qui a constitué, sur base de ce qui existait déjà, une collection sur l’anarchisme. Le Mundaneum rassemble une collection de journaux anarchistes, du monde entier. D’un point de vue documentaire, c’est extrêmement précieux, car les anarchistes ont plutôt tendance à éviter de laisser des traces, pour échapper aux tracasseries notamment policières… Certaines collections ne se trouvent qu’ici. On trouve également des brochures, des cartes postales, des affiches, etc. Il existait déjà des exemplaires des différentes revues puisque Otlet et La Fontaine avaient la volonté en créant le Musée international de la presse, de conserver au moins le premier et le dernier numéro de toutes les publications périodiques… du monde. Les journaux anarchistes en faisaient également partie. Hem Day lui-même, qui tenait la librairie Aux joies de l’esprit, collectait des collections dont il a fait don au Mundaneum. A la mort de Hem Day, une partie de ses papiers personnels ont été rassemblés dans le fonds anarchiste. On peut ajouter à cela quelques archives de l’Alliance libertaire, et quelques archives léguées par Alfred Lepape, militant anarchiste de la région montoise. En tout, cela représente environ 200 boîtes d’archives.

Propos recueillis par Christophe, du groupe Ici & Maintenant (Belgique)

Mais qu'est-ce qui fait bouillir La Marmite ?!

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Maxime à la guitare et au chant, R–Man à la guitare et EsGibt aux machines et aux chœurs. C’est un trio devant lequel tu ôtes ton galérien ou ta bâche. Une machine musicale infernale : La Marmite. Dès qu’il s’y met, il sort son flingot libertaire. Et pas du genre à se déballonner. De l’électro, du riff alternatif, de la boîte à rythme. Puis du texte. Lorsque t’as fini l’écoute d’un album, ton ciboulot se sent bien. T’as l’impression d’avoir écouté un épisode de « C’est pas sorcier » pour les arsouilles anarchistes ! Avec EsGibt à la manœuvre et Sandro du groupe Ici & Maintenant (FA) pour recueillir le bouillon.

Sandro : Sur l'album Le Sang Bouillant, on croise Jean-Baptiste Clément, Richepin, Rosa Holtz, Brassens, Garcia Oliver et Durruti... On sent où on fout les pieds !

EsGibt : Il est vrai qu'il y a sur cet album 4 reprises sur 13 morceaux : Giroflée Girofla (avec le texte antimilitariste et antiguerre écrit en Allemagne par Rosa Holtz en 1935), La petite Hirondelle (tel quel, en clin d'œil contre la propriété privée), Les Philistins (le texte de Jean Richepin mis en chanson par Georges Brassens). Et enfin une réinterprétation électro-punkoïde de la Semaine sanglante, écrite par Jean-Baptiste Clément après le massacre des insurgés par les Versaillais sur les barricades de la Commune, chanson que nous avons eu la grande émotion de chanter un jour avec Francesca Sollevile, venue jouer au Cheval déchaîné, notre petite salle de concerts, accompagnée par sa pianiste fidèle, Nathalie Fortin. C'est Francesca, avec Mouloudji et Mestral, qui enregistra en 1971 l'album « La commune en chantant », chansons d'un spectacle du même nom qu'ils portèrent à l'époque de nombreuses fois sur les planches. Nous avons un peu adapté le morceau pour qu'il s'intègre dans notre set, et nous avons changé la dernière strophe de la Semaine sanglante en « A quand la fin de la terreur, de la justice et du travail ? », au sens où le travail et la justice font partie de la société marchande, du capital,  dont il s'agit pour la révolution sociale de se défaire à la racine.

A ces 4 morceaux s'ajoute Golpe por Golpe (Coup pour coup) auquel tu fais allusion car la voix qu'on y entend est celle d'un discours que Garcia Oliver prononça en 1937 sur la tombe de Durruti (extraite ici du film fort intéressant « Ortiz, général sans dieu ni maître » réalisé en 1996 de Ariel Camacho, Phil Casoar et Laurent Guyot). Comme nous l'expliquons dans le livret du disque, Garcia Oliver parle là avec justesse des groupes anarchistes Los Solidarios (1923) et Nosotros (1931) dans lesquels il milita activement avec Durruti et Ascaso, alors qu'au moment de prononcer ces mots, il est totalement compromis en tant que l'un des 4 « ministres anarchistes » dans le gouvernement républicain de Largo Caballero, gouvernement opposé au mouvement révolutionnaire en cours et soutenu par les dirigeants de la CNT, qui ont appelé à renoncer à l'instauration du communisme libertaire au profit (et c'est le cas de le dire) de la guerre antifasciste et du productivisme industriel de guerre. Les recherches et publications du collectif des « Giménologues » sont assez passionnantes à ce sujet.

Comme l'ont affirmé Los amigos de Durruti en 1937, « L'unité antifasciste n'a été que la soumission à la bourgeoisie... Pour battre Franco, il fallait battre Companys et Caballero. Pour vaincre le fascisme, il fallait écraser la bourgeoisie et ses alliés staliniens et socialistes. Il fallait détruire de fond en comble l’État capitaliste (...). L'apolitisme anarchiste a échoué ». Dans Golpe por Golpe, nous jouons donc en quelque sorte le Garcia Oliver révolutionnaire contre lui-même... On peut rappeler par ailleurs que la France du Front Populaire ferma ses frontières aux réfugiés espagnols, avant de les parquer en dernier recours dans des camps infâmes où beaucoup périront.

Cet emprunt à l'anarchisme révolutionnaire en Espagne de même que les reprises évoquées plus haut sont une façon pour nous de nous relier à un fil historique révolutionnaire, et de critique sociale, qui s'est exprimée par les armes, par le texte, par la parole, par la chanson aussi.

Sur l'album suivant, Travail-Famine-Patrouille, on trouve une reprise du « standard » de René Binamé, « Vocations », de même qu'une réinterprétation des « Robots » de Kraftwerk en « Robots-Citoyens-Soldats » et d'un vieux standard belge de l'électro, « U-Men », adapté en langue wallonne, le dialecte de la partie francophonisée de la Belgique. Le prochain album ne devrait cette fois pas comprendre de reprise…

S : Sur de l'électro qui coudoie des sons venus tout droit du rock alternatif. Deux grosses influences musicales?

EG : Haaa on ne peut rien te cacher... Si l'on remonte un peu en arrière, certains des premiers morceaux de La Marmite avaient existé sous d'autres formes dans des formations antérieures de notre chanteur, Maxime. Depuis 2012, on a fait évoluer la boîte à rythme assez « Béru » des débuts vers un son et des séquences plus électros, avec des basses-synthés, des samples, et les claviers que je joue en concert, et toujours les guitares bien sûr... Les machines ne sont jamais que des outils, qui accompagnent d'ailleurs assez bien une démarche musicalement « punk » (d'où l'essor de l'électro-punk) : une énergie assez brute peut être lancée (tout seul ou en groupe) avec peu de matériel, énergie sur laquelle on pose le reste. Le punk a frayé dès les années 80 avec l'électro, en version dure ou version pop, et La Marmite se situe dans cette filiation hybride.

Nos morceaux sont clairement impulsés dans une optique de jeu en concert, avec l'énergie qui peut s'y déployer, la disto, les amplis (guitares et claviers). En même temps, que ce soit avec le côté chanson comme avec le côté exploration sonore ou que ce soit avec le côté plus accessible comme avec le côté plus rugueux, industriel, on taquine (ou l'on pervertit, c'est selon) gentiment les standards du genre. Ce n'est pas propre à La Marmite, mais la manière dont on le fait y donne son cachet particulier, je pense.

En concert « ça envoie » de manière jubilatoire, sonore et textuelle, mais toujours en se mettant en position de connivence, pas juste pour « atomiser » le public. Si la connivence devait foirer, le concert foirerait, ou serait simplement « exécuté », au double sens de « presté » et « tué ». On a de la rage contre cette société marchande qui s'oppose radicalement à notre humanité, aux besoins des êtres vivants, mais les groupes « très fâchés et très méchants » sur scène et sur disque, je trouve cela un peu fatigant. Plutôt la connivence : ce qui nous lie, contre ce qui nous détruit.

S : En juin 2018, sort le deuxième album: Travail - Famine - Patrouille. C'est prémonitoire comme truc ! En ces temps de souricière sanitaire...

EG : Ha, bonne question ! Évidemment, ce qui peut paraître prémonitoire est surtout dû au fait que l’État a été peu surprenant depuis l'apparition de ce Covid-19. Au-delà des incohérences de gestion, c'est quand même fondamentalement le « business as usual » qui a été sauvé, de la production à la finance en passant par la répression. Certains ont voulu y voir un « retour de l’État » qui, face à une pandémie, aurait repris la main au prix de contraintes imposées à la machinerie économique. L’État semble en effet parfois « faire face » à l'économie, parce qu'il est censé assurer sur le long terme le cadre (et la paix sociale) dans lequel pourra continuer à se déployer la voracité du profit ; il n'en reste pas moins un appendice de l'économie, au service de celle-ci.

Face à la pandémie, les courants souverainistes (de droite comme de gauche, faut-il le rappeler),  parfois très virulents contre les gouvernements, réclament en fait plus d’État « au service de la Nation », et voient dans l'internationalisation des gestions de crise (notamment sanitaire) une dépossession de la souveraineté nationale au service des multinationales, etc. Aussi loin qu'aille la dénonciation des intérêts financiers colossaux en jeu, c'est du vent si l'on laisse intouchable le mode de production capitaliste lui-même, et l'exploitation. Aussi loin qu'aille la dénonciation de la corruption, des conflits d'intérêts, des politiques menées au service du profit (ce qui est une réalité), c'est du vent si l'on ne s'en prend pas à la politique elle-même, ce fossoyeur en chef des luttes.

A ces aspects se sont ajoutés les questions de la santé, de la science, de la médecine, sur laquelle la critique révolutionnaire est en général bien faiblarde voire très absente, et acculée, pour contrer le discours dominant, à s'appuyer sur la parole de scientifiques certes dissidents et ostracisés mais qui ne sont porteurs d'aucune perspective d'émancipation réelle. Or c'était sans doute l'une des premières choses à souligner : lorsque l’État, les institutions sanitaires nous parlent de notre santé, ils ont déjà un cadavre dans la bouche... Et lorsque l’État profite du désastre sanitaire (qu'il contribue sans cesse à produire et aggraver) pour casser la vague de lutte internationale de 2019-2020, il empile les cadavres de plus belle. Là aussi la critique radicale a à se distinguer de la politique-fiction « alternative » : l'opportunisme marchand et répressif qui s'organise (y compris dans des instances officieuses, hors de vue) et se déchaîne en lançant une soi-disant « mobilisation générale contre le virus » ne signifie pas pour autant que tout cela aurait été préparé et écrit d'avance. Notre prochain album, intégralement écrit durant cette période, sera assez marqué par tout cela...

Pour en revenir à « Travail-Famine-Patrouille », titre de notre dernier album et de sa plage titulaire, il nous est venu d'un graffiti durant le mouvement contre la « Loi travail » en France en 2016. Le thème du travail est assez récurrent dans nos chansons, car c'est évidemment le lieu de l'exploitation et de l'aliénation de nos vies, bien au-delà du temps et de l'espace dédiés aux heures payées…



Plus d’infos : http://www.aredje.net/la-marmite

Les albums de La Marmite sont disponibles en France chez votre disquaire, grâce à Distribution de la Zone Mondiale

Cette interview a été publiée initialement dans le Monde Libertaire n°1830, juillet-août 2021. Disponible à l’achat au numéro pour 2€ : https://monde-libertaire.net/abonnements/au-numero/53-monde-libertaire-n1811.html


Eugène Pottier, auteur de "L'Internationale"

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Eugène Pottier est né le 4 octobre 1816 à Paris. Ce nom te dit quelque chose ? Non ? Et si on te dit : "C'est la lutte finale, groupons-nous et demain..." Ah ! Je vois une petite lueur insurrectionnelle... que dis-je : une grande flamme révolutionnaire illuminer ton œil ! Le rapport avec l'Eugène ? Eh ben, pardi ! Il en est l'auteur, de ce chant, de cet hymne, de cet étendard ! Et comment donc t'est-ce que ça s'est produit ? On te raconte ça en images !


Art Chiviste, groupe Ici & Maintenant de la Fédération Anarchiste


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