Entre
1881 et 1885, en Belgique, le mouvement anarchiste connaît une
période d’activités composée de hauts et
de bas. Si le foyer actif est principalement concentré sur
Bruxelles dans un premier temps, c’est lors de la commémoration
de la Commune de Paris, en 1886, que le centre de gravité de
l’action anarchiste va se déplacer de manière
spectaculaire, vers Liège.
La
Wallonie, dans le dernier quart du 19èmesiècle,
constitue la partie la plus industrialisée et la plus prospère
du jeune royaume de Belgique. Le pays compte d’ailleurs
parmi
les nations les plus avancées en matière de
développement du capitalisme industriel. Le suffrage universel
n’existe pas, c’est le suffrage censitaire qui prévaut
(116 000 « repus » contre 5 à 6 millions
« d’esclaves »). Quelques ébauches
de protection sociale ont vu le jour, fruit des revendications et de
l’organisation de la contestation au sein du monde ouvrier. Les
classes dirigeantes entretiennent l’illusion d’un climat
social apaisé. Les
anarchistes, considérés comme des agitateurs et
soupçonnés de complot contre l’État, sont
dans le viseur des dirigeants.
Au
cours de l’année 1885, la répression a posé
sa grosse patte sur le mouvement anarchiste, du côté de
Bruxelles. Une descente de police de grande envergure a eu lieu au
mois de juillet, rue Notre-Seigneur, très disproportionnée
eu égard aux résultats. On ne découvre
pratiquement rien qui démontre une menace émanant des
milieux anarchistes contre la Sûreté de l’État.
N’empêche, plusieurs anarchistes étrangers sont
expulsés, déforçant ainsi le mouvement dans la
capitale belge. Les animateurs bruxellois dudit mouvement, Monier,
Govaerts, Stuyck, Wysmans, entre autres, commencent à tourner
leurs regards vers la Wallonie.
Le
10 janvier 1886, un meeting se tient à Liège. Il est
organisé par le groupe anarchiste liégeois, à
l’instigation d’Edouard Wagener, Jean-Joseph Rutters et
François Billen. Wagener a un passé de révolutionnaire
déjà chargé. Admirateur de Bakounine, il a été
sous-officier mais rétrogradé il finit par quitter
l’armée. Tour à tour négociant,
commissionnaire, fabricant de chaise, on le retrouve cabaretier en
1881, au Rivage à Herstal, une ville du bassin industriel
liégeois. La même année, il prend la présidence
de la fédération liégeoise de l’AIT,
répondant au doux nom des « Va-nus-pieds ».
Il semble faire partie des quelques uns qui lancent, au début
de l’année 1886, le Cercle des anarchistes de Liège.
Débuts en fanfare pour le groupe liégeois, qui organise
le 10 janvier un premier meeting : « Pourquoi nous
sommes révolutionnaires, pourquoi nous sommes anarchistes ».
En février, le groupe annonce qu’il va organiser des
réunions hebdomadaires. Dans la foulée, des groupes se
constituent dans les villes de Tilleur, Jemeppe et Flémalle,
toujours le long du bassin mosan. Verviers, la « ville
lainière », non loin de Liège, est dotée
d’une implantation anarchiste plus ancienne, notamment autour
du cercle « L’étincelle ».
Bruxellois et Verviétois soutiennent leurs compagnons liégeois
en envoyant des orateurs prendre la parole lors des meetings.
Peu
avant le 18 mars 1886, le groupe des Liégeois annonce
l’organisation d’un défilé suivi d’un
grand rassemblement, à l’occasion des 15 ans de la
Commune de Paris. L’appel est signé des noms de Rutters
et Billen. Il est placardé sur les murs et l’on y lit :
« Continuerons-nous
à laisser nos femmes et nos enfants sans pain quand les
magasins regorgent des richesses que nous avons créées
? Laisserons-nous éternellement la classe bourgeoise jouir de
tous les droits ? » Pour autant, les
anarchistes craignent que leur initiative ne rencontre guère
de succès, au point qu’ils prévoient d’emblée
un « plan B » si les participants ne se
pressent pas au portillon… Les
autorités communales,
de leur côté, ne
prennent guère au sérieux ce qu’ils considèrent
comme les rodomontades de quelques factieux isolés. Aussi le
dispositif policier prévu par le bourgmestre-sénateur
Julien d’Andrimont est-il relativement modeste.
Le
18 mars au soir, ô surprise… la place Saint-Lambert, au
cœur de la cité ardente (Liège) est noire de
monde. Deux à trois mille manifestants se sont rassemblés,
des hommes, des femmes, des enfants, mineurs, ouvriers, venus de
Liège et des alentours, de Verviers, mais aussi des Flamands,
des Allemands… Il y a de la fièvre révolutionnaire
dans l’air. Le peuple est en colère, car la crise est
sévère. Les possédants se plaignent, pourtant ce
sont tous ces « meurt-de-faim » qui en
subissent les conséquences : les journées de
treize heures sont leur lot et la paye diminue régulièrement.
L’hiver est rude cette année là et le spectre du
chômage hante les rangs ouvriers. Le défilé doit
conduire le cortège jusqu’à la place Delcourt, en
Outremeuse, au Café Le National, où les orateurs
doivent prendre la parole. Sur le trajet, les chants fusent, on
entend des « Vive la révolution », des
« Morts aux bourgeois », des « Vive
l’anarchie ». Autant dire que la température
monte d’un cran en passant devant les vitrines des quartiers
chics. Wagener se hisse sur les épaules d’un compagnon
et harangue la foule : « Qui a produit ces
richesses ? C’est vous, c’est l’ouvrier !
Vous
les faites et vous n’en jouissez pas ! Vous mourez de faim avec
vos femmes et vos enfants et vous laissez là toutes ces
richesses... C’est
que vous êtes des lâches ! » C’est
l’étincelle qu’il faut pour mettre le feu aux
poudres. Des vitrines sont brisées, on assiste à des
scènes de pillage.
Pendant
ce temps, le bourgmestre est en train de se taper des huîtres
au cours d’une réception donnée en l’honneur
du musicien Franz Liszt. Bientôt, les agapes sont interrompues
par le tumulte d’une foule en colère qui s’est
massée devant l’Hôtel de Ville. Un peu partout en
ville, des foyers insurrectionnels inquiètent les bons
bourgeois. Les
autorités font intervenir en catastrophe un bataillon de
gendarmerie tenu en réserve. Quarante-sept arrestations vont
clôturer ce premier spasme insurrectionnel. Wagener lui-même,
rentré tranquillement chez lui en train vers 22 heures, est
arrêté le lendemain au saut du lit. Le surlendemain, le
calme est revenu dans la cité ardente.
Il
semble bien que la caste des possédants ait été
incapable de détecter la
capacité d’initiative des masses populaires. Le plus
flagrant indice se fait jour si l’on considère que les
quelques anarchistes organisés seront eux-mêmes pris de
court par la tournure des événements et n’auront
pas réussi à tirer parti de ce vent de révolte.
C’est
l’avis de l’anarchiste allemand Johann Neve, qui
séjourne
dans la région à la même période :
« Je vous assure, écrit-il à Victor Dave,
que s’il y avait eu un homme intelligent à cette
manifestation, les insurgés auraient été les
maîtres de la situation en deux heures de temps et les choses
auraient pris une autre tournure. » Entre
échauffourée et insurrection, les
événements ont un avant-goût de révolution
sociale manquée. Si ce n’est que la colère
s’étend et déborde les limites de la ville de
Liège proprement dites.
En
effet, à quelques
kilomètres de Liège, à Seraing, des tensions se
sont élevées entre les mineurs et la direction du
charbonnage de la Concorde (Jemeppe). Les mineurs - les houilleurs -
entrent en action le lendemain de l’émeute liégeoise,
sans lien direct
d’organisation avec
elle. Des tracts anarchistes sont diffusés le 19 mars et, dans
un premier temps, la
situation reste calme. Le lendemain, en revanche, c’est jour de
paye et les houilleurs cessent le travail, de Tilleur à
Flémalle sur la rive gauche de la Meuse, et
d’Ougrée
à Seraing sur la rive droite. Les revendications tiennent en
peu de mots : augmentation des salaires, réduction du temps de
travail et amélioration des conditions de travail. Eu
égard aux
événements de l’avant-veille à Liège,
du côté des autorités, on est échaudé
! Le couvre-feu est instauré dès le 20 mars. Le
dispositif mobilisé est considérable. En plus des
forces de gendarmerie, le gouverneur provincial sollicite l’envoi
de troupes : bataillons et escadrons convergent vers le bassin
houiller. Les bords de la Meuse fourmillent de bonnets de gendarmes à
poil (ou de bonnets à poil de gendarmes, sur ce point, les
avis divergent)... C’est un véritable état de
siège ! Dans un tel climat, les tensions montent. Des petites
échauffourées éclatent, des bris de vitrine, des
dégradations de biens matériels. Finalement, les
premiers coups de feu sont tirés par la troupe et les premiers
blessés tombent.
« La
grève au pays de Liège eut la violence, mais aussi la
courte durée d’une bourrasque », dira
l’historien Van Kalken. C’est que la répression
allait s’avérer très dure, en termes de peines de
prison. La grève constitue toujours à cette époque
une action illégale. Une quarantaine de prévenus se
retrouvent condamnés, dès le 24 mars, à des
peines allant de quatre à seize mois, pour avoir pris part à
« l’affaire des anarchistes du 18 ».
C’est sans doute aussi le manque de ressources des grévistes
qui eut raison de leur entreprise. Sur les revendications des
ouvriers, comme il se doit, les patrons des charbonnages vont
par
ailleurs demeurer
inflexibles.
Au
premier regard, il s’agit d’une série d’émeutes
à caractère insurrectionnel et de grèves ne
répondant à aucune stratégie concertée.
Les événements n’ont a priori aucun lien entre
eux. Mais si l’on considère les choses du côté
des détenteurs de la violence légale, gouvernants et
possédants furent
prompts à mobiliser des moyens impressionnants, lorsqu’ils
prendront la mesure de ce qui menaçait de se dérouler.
On peut bien parler d’une « grande peur »
de la bourgeoisie d’affaire en 1886… et du moment où
le monde ouvrier, en Wallonie, prend conscience de sa capacité
à transformer ses conditions de vie et de travail en résistant
à l’oppression. L’épisode
liégeois constitue le premier acte d’une pièce
dont les suivants allaient se dérouler un peu plus à
l’ouest, à Roux, notamment, du côté de
Charleroi.
René
Binamé
est un groupe belge fondé en 1988. Troubadours libertaires.
Trimardeurs du rock libre. Ils ne te proposent pas une soupe fade ou
de l’eau de vaisselle. Ça cravache ! De vrais
dynamitards de la zicmu. Les
Archives de la Zone Mondiale
et Aredje
viennent de rééditer les albums Le
Temps Payé Ne Revient Plus
(2008) et Kestufé
Du Wéékend ?
(2000) en CD et LP. L’occasion rêvée pour un petit
entretien avec Olivier,
chanteur, batteur et membre fondateur du combo.
Rééditer
l’album Kestufé
Du Wéékend ?
en plein confinement, dans un climat de couvre-feu généralisé,
c’est presque une vanne malicieuse ?
Ça
en a tout l’air mais en réalité, avouons-le,
c’est le fait du hasard. Mais cette coïncidence est
tristement intéressante.
Kestufé du wéékend
? Le morceau éponyme, c’était la to do list d’un
cadre qui cravache et se cravache. Kestufé du wéékend
en 2020 ? La question elle est vite répondue : « Je
bride les interactions sociales, les réunions familiales, les
rencontres amicales, je garde la seule chose qui compte, le travail,
l’accumulation du profit. » On le sait qu’il y a
plein d’activité qui doivent continuer voire augmenter,
mais pas n’importe comment, et on en verrait bien d’autres
disparaître sans les regretter, mais pas n’importe
comment non plus. Ça c’est le sujet de Tic-Tac, le
second morceau.
Il est à craindre que ce disque trouve
une résonance avec l’actualité tant que nous
serons sous la coupe du capital, tout simplement, et tout
particulièrement en situation de crise quand le parti de
l’ordre a le vent en poupe.
Sur
Le
Temps Payé Ne Revient Plus,
on savoure deux reprises époustouflantes. De la variété
française fignolée. Eddy Mitchell et Sheila sonnent
chansonnier(e)s anarchistes! T’as été bercé
par la chanson française populaire ? Ou c’est autre
chose ?
C’est
tout à fait ça, bercé par la chanson française,
sous toutes ses formes, engagée, sérieuse, légère.
Avec le recul, on se rend compte qu’énormément de
chansons à première vue frivoles avaient un fond,
parlaient sans en avoir l’air des problèmes de la vie
quotidienne. Comme « L’heure de la sortie » de
Sheila, mais beaucoup d’autres apparemment tout aussi
inoffensives.
Et puis il y avait le papy Brassens, Moustaki,
tonton Beaucarne, puis plus tard Trust, Brigitte Fontaine, Anne
Sylvestre, Marc Ogeret, les 4 barbus, le GAM . Au final, quand
Bérurier Noir est arrivé à nos oreilles, c’était
encore de la chanson française, mais pas mal plus sombre et
rugueuse, c’est clair.
Tout récemment, on s’est
de nouveau fait plaisir en reprenant le « Merci Patron »
des Charlots (en changeant le dernier couplet.
C’est
un problème de pas mal de chansons d’avoir un ou deux
couplets intéressants puis une chute qui rétablit
l’ordre...) et le « Allez les gars » du GAM (mais
là, on est dans une chanson d’emblée délibérément
combative) !
Dans
ce CD, on prend parti ! Sur l’esclavage salarié, les
kermesses électorales et la délégation du
pouvoir notamment ...
Y
a une évolution. Nos premiers disques, y avait une bonne part
de défoulement, de provoc, de dérision, du blasphème,
de la moquerie. On ruait dans nos brancards du moment, un carcan
catholique pesant. Nos cibles étaient classiques : le flic, le
curé, le soldat. Puis on s’est rendu compte que même
s’il y avait un symbole « dollar » sur la pochette
de notre album Vocation
, à côté de galons et d’une croix, nous
n’avions pourtant pas abordé le sujet de l’économie,
de l’exploitation. Enfin si, mais par des reprises,
l’Internationale dès nos débuts, puis une série
de brûlots anarchistes. Avec Kestufé, on avait délibéré
de le faire avec nos propres chansons.
On
peut entendre une voix féminine sur deux morceaux. D’où
vient ce fascinant et radical gazouillis ?
C’est
Magali, du groupe parisien La Fraction, qui chante « Tic-Tac »
et c’est Rachou, du groupe bruxello-suisse Pierre Normal, qui
chante « Quelques mots sur le cirque électoral ».
La Fraction, je pense qu’il ne faut plus les présenter,
c’est quand même une référence absolue en
punk-rock français, avec de beaux textes bien posés sur
des riffs plein d’énergie. Pierre Normal, c’est
sans doute plus confidentiel, c’est chantant, électronique,
poétique mais loin d’être inoffensif.
A
propos d’anarchie, qu’est-ce qui te séduit
là-dedans ? Ce que tu en as retiré et qui est
non-négociable ? L’étymologie,
absence de pouvoir, de commandement, c’est à la fois la
séduction de base et c’est ça qui est
non-négociable. Pour peu qu’on soit en froid avec les
fauteurs de l’ordre, les petits chefs, le carcan familial, les
profs autoritaires, on est forcément séduit si on a la
chance de rencontrer l’anarchie dans ses lectures, des
conversations, des films, des chansons. C’est romantique et ça
pourrait se ramener à la phrase de Clémenceau : «
L’homme qui n’a pas été anarchiste à
seize ans est un imbécile. Mais c’en est un autre, s’il
l’est encore à quarante. » C’est habile
comme formulation, aussi beau que « tout corps plongé
dans un liquide... » mais c’est tout. Et au final notre
anarchisme n’a pas fondu avec l’âge, il s’est
consolidé au contact d’initiatives concrètes de
luttes et/ou au fil des concerts de soutien à des collectifs
en tout genre, des fêtes de lieux de vie, de lieux de
production ou de culture en autogestion en rupture avec les modes de
fonctionnement dominants, de bâtiments ou terrains occupés
en luttes contre des projets nuisibles.
Cette
ardeur de musicien libertaire, c’est aussi pour tenter de vivre
« en-dehors », d’échapper au salariat ?
Vivre sa vie sans attendre l’âge d’or ?
Pour
éviter le salariat, pour diminuer son emprise sur nos vies en
tout cas, on est plutôt passé par la mise en commun, la
vie en collectif, une relative austérité joyeuse. Notre
activité musicale a certainement aidé puisqu’elle
provoque beaucoup de rencontres qui nous apprennent énormément.
Mais nous ne sommes pas des artistes professionnels. Pas par échec,
c’est un choix initial délibéré, qui
aurait pu fondre ou diverger par la suite mais qui ne l’a pas
fait. Un choix qui nous permet de jouer sans impératif de
rentabilité, de retour sur investissement. Notre parcours
pourrait être vu comme une carrière qui n’a pas
décollé, une incapacité à percer, mais vu
de l’intérieur, c’est l’expression de notre
refus de parvenir, de notre volonté d’être
effectivement en-dehors de l’industrie du spectacle, de
s’offrir et d’offrir autre chose.
Binamé
est indissociable du label « Aredje ». C’est quoi
c’t’histoire ? Et quelles récentes découvertes
chouettardes sont proposées ?
C’est
une histoire simple… Quand on a sorti notre premier disque en
1988, on s’est dit qu’il fallait un nom de label et on
s’est fait plaisir en prenant un mot wallon qui évoque
le désordre, le boucan, la chienlit. Avec quelques mots en
plus, «Aredje, chal e asteure » ... Aredje, ici et
maintenant ! Aredje peut ressembler à un vrai label mais à
y regarder de plus près, on est longtemps restés pour
l’essentiel (et avec plaisir) dans l’auto-production la
plus basique avec les disques d’abord de René Binamé
et des Slugs, puis de Beticiclopp, Crête et Pâquerette,
La Marmite, les Lapins Électriques, Krakenizer. Ceci dit, ces
dernières années, nous avons filé un plus ou
moins petit coup de main à pas mal de groupes ce qui nous
amène à une perle, le crépusculaire album «
Je reviendrai » de Manu & the Bouret’s.
On
se quitte en abordant les éventuels projets, les prochaines
envies…
Les
projets sont clairement sur pause, on a bien fait deux clips de
confinement, mais on n’a pas trop envie de se lancer dans une
existence virtuelle qui est tellement à l’opposé
de ce qu’on cherche. On veut des bisous, de la sueur, des
contacts, respirer ensemble, masqué·e·s s’il
le faut, pas tout de suite s’il faut attendre que passent des
vagues, mais on veut se secouer pour dépasser cela... du coup,
nos répés, plus nombreuses que d’habitude, sont
plutôt des temps de réflexion... ce qui est confortable
pour les voisins !
Propos
recueillis par Sandro
Groupe Ici & Maintenant (Belgique) de
la Fédération anarchiste
A Mons, les 23 et 24 novembre prochains, le tribunal correctionnel
devra juger des faits remontant au mois de mai 2018. A cette période,
un gouvernement, dont le secrétaire d’état à
l’asile et à la migration ne cachait pas ses sympathies
pour les idées xénophobes, avait appelé les
forces de l’ordre à un renforcement de la lutte contre
l’immigration dite illégale. Les bons chiens de garde de
service ne se sont pas privés de prendre au mot les consignes
de leurs maimaîtres. Un minibus chargé d’une
trentaine de migrants, une course-poursuite, un policier qui fait
feu… La balle « perdue » vient toucher à
la tête une fillette kurde de deux ans. Elle décédera
peu de temps après. Le tribunal montois va devoir désigner
les responsabilités de cette série d’actes qui
ont conduit à la mort d’une enfant.
Dans la nuit du 16
au 17 mai 2018, Mawda, une fillette de deux ans, trouve la mort dans
des circonstances à la fois lamentables et révoltantes.
Elle a pris une balle, tirée par un policier, lors d’une
course poursuite entre des véhicules de police et un minibus,
sur l'autoroute près de Mons. Mawda, petite fille kurde,
fuyait avec sa famille les violences de son pays. Le minibus, piloté
par un passeur, transportait une trentaine de personnes migrantes,
dites « illégales », à la
recherche d’un endroit où vivre en paix. Les parents de
Mawda, arrêtés et embarqués par la flicaille, ne
pourront pas l’accompagner dans l’ambulance où
elle mourra un peu plus tard.
Après les
faits, les mensonges. Révoltants, immondes. Lorsque l'examen
médical a déterminé que la fillette était
morte d'une balle, d'autres mensonges ont suivis. Les réfugiés
auraient tiré également, ou se seraient servi de la
fillette comme bouclier humain…
Contentons-nous des
faits. Une balle a été tirée par un policier et
c'est cette balle qui a tué Mawda. L'enquête a permis de
déterminer la vérité des circonstances. Au
centre de cet embrouillamini, ce qui ressort, dans la lumière
brute, c’est la mort d’une enfant de deux ans. Et c’est
aussi la tristesse épouvantable de ses parents.
Le procès qui
aura lieu à Mons les 23 et 24 novembre prochains va devoir
déterminer les responsabilités des uns et des autres.
L'officier est jugé avec le conducteur de la camionnette,
ainsi qu’un présumé passeur. Le policier est jugé
pour homicide involontaire. Comment justifier l’acte d’un
policier qui sort son arme, la charge, vise un van transportant
trente occupants, puis appuie sur la détente ? Cela n’a
rien d’involontaire.
Nous sommes
nombreux·ses à réclamer la justice pour Mawda,
autrement dit : que le policier soit condamné pour ses
actes. Que tous les mensonges et manipulations de la police et du
parquet soient dénoncés et punis. Enfin, que la
responsabilité écrasante du gouvernement belge et de sa
politique migratoire soit exposée, dénoncée et
condamnée.
Mawda est, bien
malgré elle, devenue un symbole de lutte et de résistance :
contre les violences policières, contre les violences d’état
contre les personnes migrantes, contre le racisme ordinaire entretenu
par une politique sécuritaire et aussi pour une société
plus juste, plus libre et plus fraternelle, sans clivages ni
frontières.
Groupe Ici &
Maintenant (Belgique) de la Fédération anarchiste
En guise de
souvenir, le groupe Ici & Maintenant partage ci-dessous un texte
de l’artiste Jo Hubert, qui forme un diptyque avec l’œuvre
présentée en illustration.
EXIL
Le
mot exil sable l’œsophage, racle la gorge, laisse la
bouche en sang.
Coincé dans le gosier, il ne franchira
pas le mur-frontière de l'épiglotte. Jamais il
n'atteindra le refuge utopique, atypique et dyspeptique hérissé
de barrières par "ceux d'ici". L'exil aux relents de
défaite a des airs de sens interdits.
Quémander,
l'exilé n'en a pas l'estomac.
Il n'a que le cœur au
ventre et le ventre à la rage de fuir le carnage, les ravages,
le servage, le malheur d'être né là-bas, sur des
terres trop disputées, mal irriguées, aux minerais
convoités, aux minarets conspués. La haine est dure à
digérer.
L'exilé perd ses billes, ses
quilles et ses béquilles, son droit de revenir, la chance de
l'oubli.
Jo Hubert
Texte
& collage sur encre de Chine et encre blanche de calligraphie
Josiane (Jo) Hubert
a fréquenté l'Ecole des Arts d'Anderlecht (section
peinture), de 1991 à 1995. Elle a exposé en groupe, en
duo ou en solo à Charleroi, Bruxelles, Nivelles, Mons, Les
Bons Villers, Florennes, Euskirchen (Allemagne) … Pendant de
nombreuses années, Jo Hubert a animé des ateliers
d'écriture (entre autres pour des demandeurs d'asile). Elle a
illustré « Fondus au Noir » de
Jacqueline Fischer (Ed. Rougier) et a signé le frontispice de
« Ce soir c'est relâche » de Marc Menu
(Ed. Taillis-Pré). Elle est également l'auteure de
quelques livres, dont « Chambre d'échos »
(Ed. Rougier), « La mort est un coureur de fond »
(Ed. Crocs électriques) et, dernièrement, « Assis
! » (Ed. Cactus inébranlable).
Ce jeudi 23 juillet, Denys-Louis Colaux
nous quittait. L’écrivain belge, le nouvelliste, le
poète, le chic type, le provocateur flamboyant, l’aminche
talentueux.
Denys-Louis
Colaux était un épisodique compagnon de route de
l’anarchie. Intéressé qu’il était
par la proposition libertaire. Il regardait ça d’un œil
bienveillant.
Indiscutablement,
sa classe littéraire était reconnue. Comme son
ingéniosité, son travail et son inspiration. De
l’émeraude !
Son œuvre poétique lui a
notamment valu en 1994 le prix Émile Polak de l’Académie
royale de langue et littérature françaises de Belgique,
pour l’ensemble de son œuvre. En 1998, il reçoit
le prix Frans De Wever pour son recueil de poèmes Le
galop de l’hippocampe (Les
Éperonniers). En tant que romancier, il a été
finaliste du prix Rossel (événement majeur de la vie
littéraire en Belgique) pour Le
fils du soir, paru aux
Éperonniers en 1998. Premier Prix concours «Un
auteur / Une voix», Radio Télévision Belge
francophone (RTBF), 1998.
On lui doit aussi un important
travail autour de la réalisatrice Nelly
Kaplan : Nelly
Kaplan, portrait d’une flibustière,
Dreamland, 2002.
Mais le gaillard a des répulsions !
Il a un goût prononcé pour
la bouffonnerie et le doute. Certes ! Une misanthropie dans
le plus pur style individualiste. D’accord. Mais, il
balance aussi ses glaviots. Il sème les gnons. Il t’harponne.
Il souhaite secouer le cocotier !
En 1995, on lui décerne le Premier
Prix Concours « Scénarios contre le racisme et
l’extrême-droite », Romulus Films &
Horizon 2000. Tu vois où je veux en venir ? Il soutiendra
des événements antifascistes. Le racisme et la connerie
des zigues lui mettaient le cerveau de traviole.
Avec Verdun, il reçoit le Grand
Prix de la Communauté française de la nouvelle 1999. Un
pamphlet antimilitariste. Un gars dans la boue des tranchées.
Envapé. Un rythme haché et sec. Rarement égalé.
On dégueule sa guerre.
Compagnon de route donc. En 1993, Il
participe à La journée libertaire qui se tient à
La Louvière. Une intervention poétique en compagnie de
l’écrivain français Guy Ferdinande. A Écaussinnes
et au 65 rue du Midi/Bruxelles, Il viendra causer avec Marc Wilmet de
« Georges Brassens libertaire ». On peut le
lire parfois dans le mensuel belge Alternative Libertaire.
En novembre 2012, à La Louvière,
le jeune Papa Becaye Ba est agressé en raison de sa
couleur de peau, il est tabassé à mort. Denys sort une
carte blanche (1). Poignante, rageuse. Il file une toise à
cette société qui permet le lynchage. Il nous met en
garde. Attention aux duchnoques ! Gaffe à la résignation.
À la banalisation.
Alors oui, sans jamais se rallier
complètement, il sera un généreux complice. Un
partenaire dévoué « des fils de la
chimère/des assoiffés d'azur/des poètes/des fous.»
(2)