Lectures
anarchistes • Victor
Serge,
le révolté permanent
Notre
compagnon Jean Lemaître propose sur le site du groupe Ici &
Maintenant (Belgique) de la Fédération anarchiste, une
série de chroniques littéraires que nous allons égrener
au cours des mois prochains.
Lecture
anarchiste : Victor
Serge,« Mémoires d’un
révolutionnaire (1905-1945) », Éditions
Lux, 2017
Pas
de socialisme sans respect des libertés et des droits humains
fondamentaux !
Cela
faisait déjà un certain temps que j'avais entendu
parler de ce militant, sans jamais approfondir. Alors, pour faire
plus ample connaissance, j'ai commencé par ses mémoires.
J'en
sors émerveillé : tant de sincérité
dans le récit, de témoignages inédits, de
fidélité à ses idées, d'engagement lucide
et critique, de courage personnel.
Fils
d'émigré russe ayant fui la dictature tsariste, Victor
Serge est né à Bruxelles en 1890. Autodidacte, féru
de lectures, curieux de tout, fibre sociale chevillée au
corps, assoiffé d'action, il épouse le camp anarchiste.
Il exerce tous les métiers. Part en France. Y fait de la
prison. Libéré en 1919, il rejoint la Russie
bolchevique, au pire moment, en pleine guerre civile, alors que le
pouvoir révolutionnaire vacille sous les assauts des armées
« blanches ».
Victor
Serge ne tergiverse pas. Se réunir sur l'essentiel, tel est
son credo. C''est ainsi qu'il prend lui-même les armes et
accède ensuite à d'importantes responsabilités
au sein du Komintern. Et va déchanter. Il s'inquiète
des excès de la Tcheka, la police extrajudiciaire, créée
avec la bénédiction de Lénine, qui exécute
à tours de bras. Il s'insurge contre la répression
sanglante des marins anarchistes de Cronstadt, menée de main
de fer par Trotski.
Les
bolcheviques ont vaincu. La paix est recouvrée. Mais pourquoi
diable le nouveau pouvoir multiplie-t-il les exactions, réprime-t-il
de plus belle toute dissidence, qu'elle émane des anarchistes,
des mencheviks, des sociaux-révolutionnaires et bientôt
des rangs même des bolcheviques ? La redoutable Guépéou
a succédé à la Tcheka. La répression
gagne chaque jour en intensité. L'autoritarisme se muant en
totalitarisme.
Lui-même,
Victor Serge devient un paria. Un temps, il se solidarise avec
Trotski, qui réclame plus de démocratie, et ne doit son
salut qu'à l'exil. Mais Victor Serge ne tarde pas à se
distancier du "Vieux", pour ses excès dirigistes et
son propre sectarisme. C'était inévitable. Serge est
arrêté, rudement interrogé. Il ne cède
rien. Il est déporté dans l'extrême-Est
soviétique. Sa chance ? En 1935, tournant stratégique
de l'Internationale communiste, Moscou cherche à sortir de son
isolement diplomatique et, tandis que la terreur atteint un degré
inégalé en URSS, l'Union soviétique fait patte
de velours auprès des démocraties bourgeoises
occidentales.
En
France et en Belgique, des voix, et non des moindres - Émile
Vandervelde en tête - exigent et obtiennent, presque un
miracle, la libération de Victor Serge, lequel, après
une escale en Belgique et en France, où il est vilipendé
de toutes parts, par les staliniens, par la droite réactionnaire,
choisit l'exil au Mexique.
Victor
Serge constate : « Quelle que soit la valeur
scientifique d'une doctrine, du moment qu'elle devient
gouvernementale, les intérêts de l’État ne
lui permettent plus l'investigation désintéressée,
et son assurance scientifique même la conduit (...) à se
soustraire à la critique par les méthodes de la pensée
dirigée, qui est davantage la pensée étouffée ».
Tout est dit. Un homme à part, un homme clairvoyant et
conséquent, un homme rare. Aux convictions plus que jamais
actuelles !
[Article paru initialement
dans le Monde Libertaire n° 1833 de novembre 2021]
Récemment,
nous sommes allés interviewer Jacques Gillen, archiviste et
responsable des fonds relatifs à l'anarchisme et au pacifisme
au Mundaneum de Mons. Centre d’archives, espace muséal,
lieu d’expositions, le Mundameum sous sa forme actuelle est le
dépositaire des collections de Paul Otlet et Henri La
Fontaine, connus entre autres pour avoir créé la
classification décimale universelle (CDU). Ces collections
brassent toute une série de sujets puisque leur ambition
était, à l’origine, très universaliste. Un
riche fonds anarchiste y est conservé. Et l’entretien a
effectivement duré 80 minutes.
Christophe (gr. Ici &
Maintenant) : Eh bien Jacques Gillen, vous nous racontez la
folle histoire de ce projet ?
Jacques Gillen :
Le point de départ du Mundaneum se situe en 1895. A cette
époque, Paul Otlet et Henri La Fontaine, tous deux avocats, et
passionnés de bibliographie, se sont rencontrés dans le
cabinet d’Edmond Picard. Ils ont collaboré avec ce
dernier sur un recueil bibliographique des publications juridiques.
Cela leur a donné l’idée de réaliser un
répertoire bibliographique universel. En 1895, ils créent
l’Office international de bibliographie (ce qui allait devenir
le Mundaneum) dont le premier objectif était de
développer ce répertoire à tous les domaines du
savoir humain. L’idée même de ce répertoire,
c’était de rassembler toutes les publications qui
avaient été publiées dans le monde entier, et ce
depuis la création de l’imprimerie. Et dans toutes les
langues. On est à la fin du XIXe siècle,
c’est encore envisageable… Même si à
l’époque, tout ce travail se faisait à la main
tout de même !… De nos jours, ce serait
complètement fou. Otlet et La Fontaine ont donc commencé
ce travail sur des fiches : ils ont imaginé un système
de fiches qui a été utilisé dans nombre de
bibliothèques. Ils ont également imaginé le
dispositif de meubles à tiroirs pour ranger ces fiches (voir
illustration) et enfin, ils ont conçu le système de
classification décimale universelle permettant de classer par
thématiques les fiches bibliographiques ou les publications.
Ce système de
classification se fonde sur le système décimal imaginé
par Melvil Dewey, un bibliothécaire américain, qui ne
correspondait cependant pas tout à fait avec ce que
souhaitaient Otlet et La Fontaine. Leur système est bien plus
complexe. Le principe du système de Dewey est de classer les
connaissances en dix catégories, numérotées de 0
à 9. Par exemple, toutes les publications qui ont trait à
l’histoire vont être rangées dans la catégorie
9. Chaque catégorie peut reprendre elle-même dix
sous-catégories (91, 92, …) et en affinant les nombres,
on peut définir de manière de plus en plus précise
le sujet d’un livre, d’un périodique ou d’une
autre publication. Otlet et La Fontaine ont développé
ce système en utilisant des combinaisons de signes de
ponctuation et de nombres, pour pouvoir ramasser des informations du
type : ce livre traite des abeilles, au Brésil, au XVIIIe
siècle et a été publié en Allemagne en
1950… (C’est un exemple !…)
CI&M : Voilà
donc la première étape de leur entreprise :
rassembler les références bibliographiques de toutes
les publications existantes…
JG : Oui. Mais ils
ont voulu aller plus loin en rassemblant physiquement les
connaissances du monde en un seul endroit… ! Du coup ils
se sont intéressés à la documentation. C’est
à ce titre que Paul Otlet est considéré comme un
des pères de cette discipline. Différentes
sous-sections ont été développées dans le
sillage du Mundaneum,
consacrées l’une à la presse, l’autre à
la photographie, ainsi qu’un répertoire universel de
documentation… Dans ce répertoire thématique,
les coupures de presse et différentes sortes de documents
étaient classées quasiment au jour le jour. Le but
était d’avoir une information mise à jour,
actualisée le plus possible, sur un sujet. Le projet s’est
étendu également à la dimension iconographique :
la collection a accueilli des affiches, des plaques de verre, des
cartes postales, etc. sur toute une série de sujets, le but
étant, je le rappelle, d’être le plus universel
possible… !
Pour cette entreprise, Otlet
et La Fontaine reçoivent un prix lors de l’Exposition
universelle de 1900. En 1910, ils créent un musée à
l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles, ce
qui aura pour conséquence d’aboutir à
l’installation de leur entreprise dans le Palais du
Cinquantenaire. C’est donc là qu’ils installent
leur « Musée international », qui
devient peu après le « Palais Mondial-Mundaneum »
et qui rassemble tous les instituts qu’ils avaient créés
précédemment : Musée international de la
presse, Institut international de photographie, Office international
de bibliographie, Union des associations internationales…
Cette dernière, fondée en 1907, vise à offrir à
leur projet une dimension internationale, universaliste, d’un
point de vue un peu plus politique. Elle existe d’ailleurs
toujours actuellement.
CI&M : La
dimension internationale semble être au cœur de leurs
préoccupations…
JG : C’est
en effet une époque où l’internationalisme se
développe considérablement, favorisé en cela par
le développement des moyens de communication. L’objectif
sous-jacent à toutes ces organisations, c’est de
favoriser la paix par la connaissance, en partant du principe que
mieux les peuples se connaîtraient les uns les autres, moins il
y aurait de facteurs de guerre. Henri La Fontaine était
lui-même un pacifiste de premier plan. Il a d’ailleurs
reçu le Prix Nobel de la Paix en 1913, il a été
président du Bureau international de la Paix… Par
ailleurs, l’objectif ultime de Paul Otlet (plus que celui de La
Fontaine) était la création d’une Cité
mondiale. Il s’agissait de fonder une ville qui serait dédiée
à la connaissance, dont l’autorité serait placée
au-dessus de celle de la Société des Nations (SDN,
ancêtre de l’ONU, NDLR). C’était une
approche très positiviste. Très idéaliste aussi
sans doute… !
L’objectif
sous-jacent à toutes ces organisations, c’est de
favoriser la paix par la connaissance, en partant du principe que
mieux les peuples se connaîtraient les uns les autres, moins il
y aurait de facteurs de guerre.
Pour résumer, leur
projet originel devient de plus en plus ambitieux et revêt même
un caractère utopique. Et même un aspect politique,
puisqu’on dépasse le cadre de la bibliographie et de la
documentation pour avoir un impact sur la société, sur
le monde. La désillusion fut immense, évidemment,
puisque les deux têtes pensantes du projet eurent le malheur de
connaître les deux conflits mondiaux (La Fontaine s’éteint
en 1943, Otlet en 1944).
CI&M : La
Première Guerre mondiale a dû mettre un frein à
leur projet, on imagine.
JG : En effet. Le
Palais Mondial n’est
installé complètement au Parc du
Cinquantenaire qu’en 1920. Les années 20 constituent un
peu l’âge d’or du Mundaneum : Otlet et La
Fontaine ont pu s’installer dans un beau bâtiment, ils
reçoivent des subsides du gouvernement, et ils peuvent
développer leur projet de façon considérable et
ce jusqu’en 1934. C’est en effet à cette date que
le gouvernement décide de fermer le Mundaneum…
Probablement est-ce une part d’incompréhension par
rapport à la mise en œuvre du projet (qui s’intitule
« musée » mais n’en adopte pas les
codes, il s’agit d’avantage de présentations à
caractère pédagogique) mais aussi parce que le
pacifisme, en 1934, ne semble plus tellement à l’ordre
du jour… Au mieux, il génère un scepticisme poli
dans le chef des instances gouvernantes…
A partir de ce moment, le
musée est fermé, les collections sont inaccessibles.
Paul Otlet poursuit son activité à son domicile, avec
son équipe. C’est durant ces années qu’il
conçoit les plans d’une « Mondothèque »,
une sorte de meuble dont chacun pourrait disposer chez soi,
préfiguration de l’ordinateur ou de la tablette
numérique. La Mondothèque ne fut cependant jamais
construite par Paul Otlet. Une version en a été
réalisée à l’occasion de l’exposition
Renaissance 2.0 à Mons en 2021. En 1941, le Palais du
Cinquantenaire est réquisitionné par l’occupant
allemand. Du coup, les collections sont entreposées dans le
parc Léopold. Après l’âge d’or, l’âge
sombre… ! Commence en effet la période d’errance
du Mundaneum, qui va durer jusqu’en 1993. Toujours est-il
qu’après l’évacuation du Palais du
Cinquantenaire, une partie des collections va au pilon, une partie a
dû être perdue ou volée, suppose-t-on. Les
collections papiers sont stockées dans de très
mauvaises conditions, en termes de conservation. A partir de 1971,
les collections sont ballottées d’un endroit à
l’autre de Bruxelles. Elles avaient fini par atterrir dans un
parking souterrain, sous la Place Rogier… Enfin, en 1993, à
l’initiative des quelques personnalités du monde
politique, comme Elio di Rupo, originaire de la région
montoise, les collections trouvent place à Mons, dans le
bâtiment de l’Indépendance. Le lieu a été
aménagé et, depuis 1998, doté d’un espace
d’exposition dont la scénographie a été
conçue par François Schuiten et Benoît Peeters
(auteurs de bande-dessinée belges, notamment de la série
Les Cités obscures, NDLR). Dans les années 80,
les collections avaient été rachetées par la
Fédération Wallonie-Bruxelles, si bien qu’aujourd’hui,
l’actuel Mundaneum est reconnu comme centre d’archives de
la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique
(regroupant des archives privées et non émanant d’une
institution publique). Il abrite quelque 6 kilomètres courants
de documents (journaux, cartes postales, photographies, plaques de
verre, fonds d’archives, livres, brochures, etc.) Comme dit
plus haut, le Mundaneum s’est spécialisé dans les
fonds documentaires autour des trois thématiques citées
(féminisme, pacifisme, anarchisme). Il conserve également
les papiers personnels d’Otlet et La Fontaine.
CI&M : Comment
le projet a-t-il intégré la thématique
féministe ?
JG : La présence
du fonds de documentation féministe s’explique parce que
Henri La Fontaine était un des premiers féministes en
Belgique, depuis l’affaire Marie Popelin, en 1888 (première
femme docteure en droit de Belgique - les juridictions belges
refusèrent de lui faire prêter le serment d'avocat en
raison de son sexe, NDLR). Mais c’est aussi et principalement
parce que sa sœur, Léonie
La Fontaine, était très active au sein de la
Ligue belge pour le droit des femmes. Elle fut également
impliquée au sein du Mundaneum, prenant part à la
constitution du Répertoire bibliographique universel dès
ses prémisses et mettant en place l’Office central de
documentation féminine en 1909.
CI&M : C’est
à Otlet qu’on doit les innovations sur l’aspect
documentaire, disiez-vous ?
JG : Le travail
d’Otlet était assez visionnaire. On parle à
propos du Mundaneum d’un Internet de papier. Disons que c’est
un précurseur en ce qu’il a imaginé des moyens de
diffuser l’information et de la partager. Dans un texte de
1907, il écrit que dans le futur, tout le monde disposera d’un
petit téléphone qui lui permettra d’accéder
à de la connaissance… Dans les années 20, il a
l’idée des systèmes de vidéoconférence…
Il imagine un moyen de consulter à distance, depuis une
bibliothèque, un livre qui se trouve dans une autre
bibliothèque… Tout cela demeurera sur papier mais il a
conçu la possibilité de mettre en œuvre toutes
ces technologies que nous employons aujourd’hui en quelques
clics ! Il est également précurseur d’Internet
de par le système de classification qu’il met en place,
qui permet de faire toute une série de liens et préfigure
le lien hypertexte. D’ailleurs le
Répertoire bibliographique universel
représente en quelque sorte le premier moteur de recherche, de
papier certes, mais avec les moyens de l’époque, c’était
ce qu’il y avait de plus avancé. La mise en œuvre
de ce projet reposait sur des contacts avec un réseau
international assez important, des contacts avec des bibliothèques
du monde entier, comme par exemple celle de Rio de Janeiro. Cette
collaboration internationale faisait partie du projet. Aujourd’hui,
l’espace muséal permet de valoriser les collections en
organisant des expositions, tout en restant fidèles aux
valeurs des fondateurs, la paix et l’universalité.
Le Mundaneum rassemble une
collection de journaux anarchistes, du monde entier. D’un point
de vue documentaire, c’est extrêmement précieux,
car les anarchistes ont plutôt tendance à éviter
de laisser des traces, pour échapper aux tracasseries
notamment policières…
CI&M : Nous
avons parlé pacifisme, nous avons parlé féminisme…
Qu’en est-il de ce fonds de documentation anarchiste ?
JG : En fait, dans
les 20 et 30, l’un des collaborateurs d’Otlet n’était
autre que Hem Day (Marcel Dieu). Disons que c’était l’un
des contributeurs, parmi d’autres, qui ont pris part au projet,
de façon bénévole ou salariée. C’est
lui qui a constitué, sur base de ce qui existait déjà,
une collection sur l’anarchisme. Le Mundaneum rassemble une
collection de journaux anarchistes, du monde entier. D’un point
de vue documentaire, c’est extrêmement précieux,
car les anarchistes ont plutôt tendance à éviter
de laisser des traces, pour échapper aux tracasseries
notamment policières… Certaines collections ne se
trouvent qu’ici. On trouve également des brochures, des
cartes postales, des affiches, etc. Il existait déjà
des exemplaires des différentes revues puisque Otlet et La
Fontaine avaient la volonté en créant le Musée
international de la presse, de conserver au moins le premier et le
dernier numéro de toutes les publications périodiques…
du monde. Les journaux anarchistes en faisaient également
partie. Hem Day lui-même, qui tenait la librairie Aux joies
de l’esprit, collectait des collections dont il a fait don
au Mundaneum. A la mort de Hem Day, une partie de ses papiers
personnels ont été rassemblés dans le fonds
anarchiste. On peut ajouter à cela quelques archives de
l’Alliance libertaire, et quelques archives léguées
par Alfred Lepape, militant anarchiste de la région montoise.
En tout, cela représente environ 200 boîtes d’archives.
Propos recueillis par
Christophe, du groupe Ici & Maintenant (Belgique)
Les marchands de vent de la
gauche gouvernementale (Parti Socialiste et Ecolo), sans préjudice
pour la droite libérale, nous prennent pour des cornichons.
Alors que le prix du gaz, du mazout et de l’essence explose,
ces parlementaires bombent le torse et nous annoncent une baisse de
la TVA sur ... l’électricité... et du printemps à
l’été. Drôlichon n’est-ce pas ?
Période où, justement, les grands froids disparaissent.
Messieurs-zé-mesdames, chapeau bas ! Quelle maîtrise
de la langue de bois ! Habile manipulation ! Pas manchots
les gaillards et gaillardes !…
Julie
Frère (Test Achats, association de défense des
consommateurs) a déploré que le coup de pouce ne vise que
la seule facture d’électricité, alors que c’est
la facture de gaz qui a surtout augmenté ces derniers mois. «
Quatre-vingts pour cent de la consommation de gaz a lieu entre fin
octobre et fin mars », a rappelé Mme Frère. Elle
souligne que les personnes bénéficiant d'un tarif
énergétique variable risquent de subir une augmentation
d'au moins 1.350 euros. Ce sont toujours les mêmes qui casquent
et qui galèrent. On crève pour se loger, se chauffer et
pour payer la bagnole qui nous amène au taf.
Nous,
travailleuses et travailleurs, produisons les richesses. Et ce sont
les exploiteurs qui disposent/empochent les richesses produites. En
plus, l’État bourgeois propose un véritable
arsenal de soutien aux capitalistes : d’après le
baromètre socio-économique 2021 de la Fédération
Générale du Travail de Belgique, ce sont 19,8 milliards
d’euros qui sont allés directement aux entreprises
D’après le Bureau du Plan, en 2026, nous atteindrons
20.875 milliards d’euros/an de réductions de cotisations
patronales. 5,7 milliards d’indemnités de chômage
temporaire Covid peuvent être aussi considérés
comme une subvention au patronat. La perturbation sanitaire est aussi
une aubaine pour imposer un blocage des salaires et une flexibilité
sans nom et sans précédent : les prépensionnés,
les travailleurs sans emploi ou en congé, les personnes en
pension anticipée mais aussi les étudiants pourront être
appelés à travailler dans l’entreprise pour faire
face à la pénurie de main d’œuvre.
«
La tyrannie la plus redoutable n'est pas celle qui prend figure
d'arbitraire, c'est celle qui nous vient couverte du masque de la
légalité. » (Libertad, "La botte policière",
L'Anarchie, no 112, 30 mai 1907)
Sarah
Fistole, Groupe Ici et Maintenant Fédération Anarchiste
Belgique
La contestation des mesures
sanitaires pour lutter contre le Covid draine du monde. Du monde
parfois venu de différents pays d’Europe, comme ce
dimanche 23 janvier à Bruxelles. Les motivations pour battre
le pavé sont multiples et hétéroclites. Et bien
évidemment, nombreux sont les observateurs qui cherchent à
mieux appréhender « Qui sont ces gens ? ».
Ainsi Bruno Frère, sociologue à l’ULiège,
offre une analyse reprise pour la seconde fois dans les colonnes du
Soir de ce lundi 23 janvier (et précédemment sur la
matinale de la radio La Première). Le chercheur distingue en
effet deux groupes d’individus dans ces rassemblements :
« Des anarchistes individualistes qui viennent affirmer
leur liberté individuelle, à placer au-dessus de tout,
sans que se pose la question du collectif et qui sont contre toute
forme de mesure restrictive ou de contrôle. Et des anarchistes
collectivistes typiquement issus des mouvements associatifs. Ils sont
très critiques à l’égard d’un État
jugé bureaucratique mais tiennent à l’idée
de faire société : il s’agit de veiller à
protéger les libertés collectives et les libertés
d’autrui » [Le Soir, lundi 24 janvier 2021].
À lire cette courte
analyse, on pourrait imaginer Bruxelles parsemée de
barricades, des drapeaux noirs ou rouges arborant fièrement un
A cerclé, certains quartiers fonctionnant déjà
en autogestion et des entreprises aux mains des travailleurs.
Pourtant, il s’agit
d’une foule bigarrée. Y sont présents aussi des
groupes nationalistes, des franges de la droite radicale et des
collectifs aux convictions réactionnaires. Les uns protestent
contre la dictature sanitaire, les autres réclament leur
liberté, beaucoup critiquent la vaccination et la société
du contrôle, certains s’en prennent au Big Pharma devenu
l’archétype capitaliste, plusieurs condamnent le port du
masque…
Pourquoi dès lors
apposer à ce mouvement l’étiquette
« anarchiste »?
La contestation reprend ça
et là certains mots d’ordre libertaires comme la
critique des gouvernements, la défense de la liberté ou
la défiance envers le capitalisme. Pourtant, nous, membres du
Groupe belge « Ici et Maintenant » de la
Fédération anarchiste, ne nous retrouvons pas dans ces
mouvements qui sont loin de représenter une manifestation de
l’anarchisme. Car l’anarchisme ne s’arrête
pas au rejet de l’État, à l’abolition du
capitalisme ou à la défense de la liberté.
L’anarchisme est avant tout une proposition, un objectif de
société visant à construire des rapports
égalitaires débarrassés de l’oppression,
quelle qu’elle soit. Parce que l’État et
l’organisation capitaliste du travail créent la
domination et l’inégalité, l’anarchisme
cherche à mettre en place une organisation sociale débarrassée
des structures du pouvoir en promouvant l’implication de
chacun.e dans les processus de décision et de création.
Quant à la liberté, « être libre »
c’est pour nous rejeter tout autoritarisme. Mais c’est
aussi, en corollaire, tenir compte de l’effet de ses actes sur
le collectif. C’est la différence entre le courant dit
« libertarien » et l’anarchie. Être
libre, c’est agir en citoyen, faire en permanence un effort
rigoureux d’information, sortir aussi du côté
binaire de la pensée actuelle.
Loin d’être une
critique radicale sans perspective, l’anarchisme se veut avant
tout un projet social égalitaire où chaque individu a
l’opportunité de participer activement à la
gestion publique par l’appropriation collective des centres de
décisions et de production économique. L’anarchisme
est un horizon social à atteindre par la mise en place
concrète de méthodes autonomes et égalitaires.
Dès lors, si les
mouvements de contestation des mesures sanitaires sont en effet le
reflet multiple d’un ras-le-bol populaire, ils nous semblent
pourtant encore bien loin d’une proposition anarchiste de la
société. C’est en cela que pour nous, ces
rassemblements n’ont rien d’anarchistes. Mais comme Bruno
Frère, nous pouvons toujours nous mettre à rêver.
« Ici et
Maintenant », groupe belge de la Fédération
anarchiste
La réussite des mobilisations contre les mesures sanitaires
sont sans aucun doute facilitées par une couverture médiatique
importante (à la différence de ce qui se passe lors des
grèves des prolétaires et des luttes syndicales ) et
par le fait qu’on présente ce mouvement comme
l’expression du mécontentement des « gens normaux
», de « monsieur et madame tout le monde », du «
peuple ».
Au-dessus des
classes aussi. L’exploitation capitaliste n’est pas
pointée du doigt. Et pourtant c’est bien l’État
qui est entre les mains de la classe dominante (les capitalistes, la
bourgeoisie). Sa fonction principale est de maintenir l'ordre établi
grâce à ses infrastructures et son organisation
économique de la société (mode de production,
division en classes sociales, domination, aliénation,
salariat, télévisions, médias, religions, lois…)
On appelle la police
à rejoindre les rangs des mécontent.e.s… En
oubliant que le rôle essentiel de la police, sa raison d'être,
est un rôle politique. Elle existe pour défendre la
propriété et l'ordre des capitalistes. En lisant
certaines déclarations, on a l’impression que les
actrices et acteurs de ce mouvement découvrent qu’ils
vivent dans un système capitaliste avec ses crises cycliques
et son autoritarisme !
Bien évidemment,
nous rejetons les mots d’ordres ambigus et farfelus :
introduction d’une puce, 5G, complot judéo-maçonnique,
éradication de l’humanité, satanisme… Le
doute et le soupçon relèvent d’une démarche
intellectuelle saine et nécessaire. Mais quand elle s’exerce
à tout va, elle profite à des formes d’irrationalisme
toujours porteuses d’une vision autoritaire et conservatrice de
la société. Le grand fantasme du réseau
pédophile mondial figure à cet égard le recours
à une pseudo incarnation du Mal, et la manière dont la
sacralisation de l’enfant participe au discours de ces
mouvances (la vaccination des enfants, victimes innocentes des
« blouses blanches ») relève d’une
mystique irrationaliste déconnectée de la réalité.
C’est à une forme de délire paranoïaque de
groupe que l’on est confronté dans le contexte de ces
manifestations. Le capitalisme n’est pas un grand Moloch Baal
dévoreur d’enfants. C’est un système
d’exploitation, avec ses oppresseurs et ses opprimés.
C’est un modèle économique doté de
dispositifs de contrôle et de surveillance. Historiquement
construit, il peut être socialement renversé. La lutte
contre ce système ne passe pas par le refus de la vaccination
obligatoire mais par la conscience de classe.
Pour faire face à
des difficultés et des crises économiques toujours plus
graves, le capitalisme n’a pas d’autre ressource que
d’accroître sa pression sur celles et ceux qui bossent
(et qui produisent réellement les richesses), de démanteler
les amortisseurs sociaux et reprendre les avantages qu’il avait
concédés dans les périodes fastes (les 30
glorieuses par ex.) pour maintenir la paix sociale : assurer ou
rétablir les profits implique l’accroissement de
l’exploitation capitaliste avec comme conséquence et
condition d’accélérer l’oppression sociale
sous toutes ses formes. La crise sanitaire et les tensions inhérentes
au virus est une aubaine : salaires bloqués,
surexploitation, autoritarisme, allongement de l’âge de
la « prépension », cadeaux fiscaux pour les
riches, aides aux patrons (chômage covid, droit passerelle,..),
attaques antisyndicales,…
Il n’est pas
rare de voir le drapeau national ou les bannières
régionalistes flotter dans les manifs. Liberté !
démocratie ! Que ça gueule. La croyance en une
démocratie idéale et les illusions d’une lutte «
populaire », qui pourrait faire reculer le gouvernement sont
typiques de ce genre de mouvement confusionniste et apolitique,
incapable de comprendre que la plus démocratique des
démocraties n’est jamais autre chose que le masque de la
loi du profit et du Capital. Un tel mouvement de contestation
interclassiste attire inévitablement les forces de
l’extrême-droite (comme en Allemagne, en Italie, aux
USA,..)
Les médias
autoproclamés « libres » (en quémandant
continuellement du fric ou en touchant des subventions) et ses
vedettes « reporters-citoyens » ne mouftent pas en
présence des fascistes. Les stars du net comptent les clics et
la caillasse, empilent les vues... pour le rejet de l’extrême-droite,
on verra plus tard…
Ceux-ci ont
d’ailleurs partagé l’estrade avec Sarkis Simonjan,
qui, d’après le Front Antifa liégeois, est un «
chrétien orthodoxe intégriste (anti-avortement etc.)
grand fan des théories du complot : satanistes tueurs de bébés
dans les hautes sphères du pouvoir, le covid n’existe
pas c’est un complot des « mondialistes » (sic)
afin de pucer la population via les vaccins, etc. ».
Avec Escada (ex-FNB)
et les cathos-fachos de Civitas ou Sarah Melis, une proche de Schild
& Vrienden.
Avec David Bouillon,
ancien colistier de Georges Louis Bouchez et ex-soutien de la liste
islamophobe Destexhe ou Cristian-Vasile Terheş député
roumain (droite conservatrice chrétienne) cortégé
par les homophobes de l’Alliance pour l'Unité des
Roumains/AUR.
Ils ont donc battu
le pavé bruxellois avec des démagogues du net en quête
de notoriété, de médiocres charlatans issus des
réseaux sociaux, des sectes nazies, des groupuscules
conservateurs et les reliquats fascistes échappés des
poubelles de l’histoire…
Henri Golan &
Julienne Delhez-Gume
Groupe Ici &
Maintenant de la Fédération anarchiste