Le comble pourrait paraître, aux yeux d’actuel·le·s
contempteur·se·s de l’état, que les
anarchistes se plient docilement aux mesures sanitaires imposées
par le Comité de Sécurité Nationale, sous la
caution d’experts suspects de complaisance avec le pouvoir.
Imposées, oui, puisque leur entrée en vigueur est
assortie des contrôles et sanction de rigueur, sous la férule
des habituels « représentants de l’ordre »,
nos amis les flics. Imposées, oui, puisque, de fait, la
consultation de la population demeure inexistante dans l’actuel
régime qualifié de démocratique.
Sous des formes
diverses, un discours circule qui, à première vue,
pioche sans vergogne dans une phraséologie qui pourrait
évoquer celle des anarchistes. Méfiance envers un État
qui impose ses lois, établissement sournois d’une
dictature sanitaire, diminution des libertés puis perte de la
liberté… Les gens qui nous gouvernent tireraient
prétexte d’un risque qualifié de négligeable
pour jouer sur les peurs de la population et instaurer des mesures
établissant le cadre d’une future et progressive
tyrannie des actuels dirigeants de l’État. Le « peuple »
qui se soumet aveuglément constituerait un ramassis de
moutons, de larbins serviles qui n’osent pas se révolter
contre ces diktats irrationnels.
En apparence, ça
a la couleur de l’anarchisme, ça a le goût de
l’anarchisme.
Mais ce n’est
pas de l’anarchisme.
Oui, pour nous
autres anarchistes, l’État continue de représenter
l’ennemi à abattre.
Oui, toute dérive
sécuritaire, toute forme d’exercice du pouvoir, toute
violence légale, tout glissement vers une forme encore plus
autoritaire de gouvernement, tout cela est un objet de détestation
de la part des anarchistes.
Mais ne nous y
trompons pas ! Les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément
nos amis !…
On a d’abord
envie de railler. Bonjour la prise de conscience !… 2020,
il vous en a fallu du temps pour réaliser que l’État
portait en lui toute une série de potentialités
d’oppression. Il est significatif de constater que la majorité
des milieux anti-mesures sanitaires, anti-masques, anti-vaccins, etc.
appartiennent plutôt à des catégories favorisées
de la population. Le soupçon se fait jour d’y voir une
classe moyenne, plutôt à l’abri du besoin en
général, qui crie au complot de l’État
menaçant de réduire « nos »
libertés. Nos libertés, en l’occurrence,
il s’agit d’abord de leurs privilèges. Dans
bien des cas, il s’avère que le glissement vers la
droite les entraîne à assumer ouvertement et à
afficher leur ralliement au « mouvement » (on
ne sait trop comment le qualifier) xénophobe, homophobe et
anti-féministe Q-anon.
Autre soupçon :
pour ces personnes, il ne s’agit pas de tirer prétexte
de la « soi-disant pandémie » pour
stopper toute une série de chaînes de production, où
se trouvent des ouvriers et des ouvrières au travail,
pourvoyeuses de biens de consommation. Au boulot, les larbins !
Ces pseudos révolutionnaires ignorent, comme ils l’ont
toujours fait, les véritables enjeux sociaux de l’oppression
économique.
Alors quoi ?
Nous autres anarchistes, nous serions d’accord avec les
décideurs, les dirigeants, les représentants du
pouvoir ?!
Non.
Nous sommes d’abord
solidaires. Nous pensons d’abord aux populations fragilisées,
à risque, les plus exposées au risque mortel dont le
virus du covid est potentiellement porteur. Nous pensons ensuite aux
membres du personnel des soins de santé, les applaudi·e·s
de 20h il y a quelques mois… Celles et ceux qui ont dit cet
été : OK, la première vague est passée,
mais faut se préparer pour la seconde au cas où. Faut
des moyens, et des moyens humains d’abord, parce que nous, on
n’en peut plus. Tirons les leçons de nos erreurs et
anticipons !
Ce culot des élus
et des élues… Venir affirmer sans honte avoir été
pris par surprise, qu’ils ne s’attendaient pas à
ça…
Du coup, la réponse
ne s’est pas fait attendre : confinement, télétravail,
fermeture des commerces non-essentiels, couvre-feu, surveillance et
contrôles renforcés et sanctions à la clé.
Trouvons-nous, nous
autres anarchistes, que ces mesures sont justes ?
Non.
Elles ne sont au
fond ni justes ni injustes. Elles sont nécessaires. Elles sont
nécessaires à défaut de mieux. Elles répondent
de manière inadéquate à l’imprévoyance
des politiques. Et nous n’allons pas non plus abaisser notre
seuil de vigilance. Le couvre-feu : il semble que l'efficacité
sanitaire en soit douteuse. Donc oui,nous conservons l'impression que
l’État bourgeois prend toutes les mesures qu'il juge
nécessaires pour limiter les libertés individuelles
(usine/caserne, école /caserne, interdiction de
manifestations, ordre de confinement à domicile, réglementer
les déplacements…) D’autant plus que les pleins
pouvoirs au gouvernement contrent les luttes et autorisent les
patrons à contourner les droits au travail : excès
de zèle, autoritarisme sanitaire, contournement du salaire
garanti, exagération dans la mise au chômage temporaire…
Non, les anars ne sont pas devenus de sages petits moutons dociles.
Y a-t-il un complot
des politiques ?
Non.
Depuis quelques
décennies, les politiques organisent la société
selon des critères économiques, favorisant le profit et
l’accumulation du capital dans les griffes dans d’un
petit nombre de nantis. Ce n’est pas un complot. Ces
agissements sont connus et se sont déroulés au grand
jour. Hélas, nous déplorons que la pandémie
permette d’accentuer encore d’avantage cette dynamique
d’oppression : depuis le début de la crise, le
nombre de chômeurs a augmenté de 186.000 unités,
constatait la Banque nationale en juin dernier. On sent les premiers
effets désastreux pour les prolétaires. Des réactions
de colère et des luttes sont à prévoir. À
espérer. Et nous en serons ! Sous le prétexte des
conditions exceptionnelles provoquées par la pandémie,
on a l'impression que les capitalistes et leur État mettent en
place un système de contrôle social. A nous,
travailleurs, travailleuses, avec ou sans emploi, de contester dès
aujourd’hui ce qu'ils jugent nécessaire, pour pouvoir
s’y opposer lorsque la situation sociale sera beaucoup plus
critique, lorsque la crise économique naissante plongera les
populations dans des conditions de vie calamiteuses et les poussera à
se rebeller contre tout ce qui représente le pouvoir politique
et économique.
Les mesures
prophylactiques préservent-elles les gens des risques
sanitaires ?
Tout le monde n’est
pas épidémiologiste. Alors dans le doute, le bon sens
nous incite à suivre le principe de précaution et à
respecter les règles de distanciation physique, le port du
masque, etc. même si c’est pénible, énervant,
contraignant, inconfortable. Parce qu’en l’occurrence, il
ne s’agit pas de sa propre santé, de sa propre vie, mais
1) du risque de contamination de personnes dont le virus pourrait
mettre la vie en danger ; 2) d’éviter la saturation
des services hospitaliers dont les conséquences constituent
également un danger pour les personnes atteintes d’autres
pathologies.
Voulons-nous
vraiment d’une société où il faut choisir
entre les malades que l’on soigne et les malades que l’on
va laisser sans soin ?
Et pourtant, cela ne
nous empêche pas de laisser libre cours à une société
où l’on choisit qui est mis à l’abri des
risques de contamination et qui doit continuer à y être
exposé.
Confinement,
télétravail… Oui, mais pas pour tout le monde.
Allons-nous continuer de faire semblant d’ignorer que tant de
travailleuses et de travailleurs sont tenus de demeurer entravés
in situ dans les chaînes du salariat, pour permettre à
l’économie de continuer à tourner ? La
pression sur ces travailleurs et travailleuses-là existe et
toute une série de mesures antisociales les contraignent à
continuer le turbin sur des lieux de travail où les conditions
sanitaires ne sont pas respectées. Les loisirs sont suspendus.
Y a plus que bosser que tu peux faire !…
Masqué·e·s,
nous le sommes, nous autres anarchistes du groupe Ici &
Maintenant, même si le respect des consignes ne fait pas
l’unanimité au sein de la Fédération
anarchiste. Pour certain·e·s, « l’État
ne peut pas m’obliger à porter un masque, et on n’est
même pas assuré que cela serve à quelque chose ».
Soit. Nous en revenons au principe de précaution. Certes le
respect des consignes, ça marche quand il est librement
consenti. Nous déplorons que ces mesures ne fassent l’objet
que de si peu de consultation auprès des populations
directement concernées, notamment sur le point du couvre-feu.
Nous pourrions d’ailleurs ne pas les respecter. Ce n’est
pas parce qu’un État nous indique quoi faire que nous
nous en acquittons servilement. Pour nous, la désobéissance
n’est pas un truc nouveau. Mais en ce moment, en attendant
d’obtenir des certitudes mieux établies, nous ne voyons
que la nécessité d’accomplir un devoir de
solidarité. Ni docilité ni obéissance à
une autorité que nous ne reconnaissons pas, et ce, pas plus
demain qu’aujourd’hui, pas plus qu’hier.
Car là se
situe un autre enjeu de taille : l’État, nous le
contestons depuis la naissance du mouvement anarchiste. L’arbitraire
des gouvernants, nous le combattions avant, nous le combattons encore
et nous le combattrons demain.
Le « monde
d’avant », nous l’avons combattu durant la
Commune de Paris, nous l’avons combattu en Catalogne en 1936,
nos frères et sœurs le combattent au Rojava, au Chiapas…
Le « monde
d’après », c’est pour cela que luttent
les anarchistes. Bien avant la crise sanitaire. Un monde d’après
véritablement adelphique, de frères et de sœurs.
Pas un monde d’après où des poignées de
révolté·e·s de la onzième heure se
bornent à restaurer l’exercice petit-bourgeois de
quelques privilèges de classe. Mais une organisation
égalitaire, libertaire, basée sur l’autogestion
et les assemblées. Le programme n’existe pas, il n’est
pas écrit à l’avance. Il reste à faire,
toujours déjà, par chacune et chacun, dans le
rassemblement d’une volonté collective qui préserve
les aspirations individuelles de chacune et chacun.
Groupe Ici &
Maintenant (Belgique) de la Fédération anarchiste
Samedi 17 octobre 2020. - Les tenaces travailleuses et travailleurs
de Makro continuent leur action. Le groupe Ici et Maintenant
(Belgique) de la Fédération Anarchiste les salue et
leur souhaite un franc succès !
Le patronat refuse
toujours la négociation avec les représentantes et les
représentants du personnel et veut imposer ses mesures
autoritairement en rejetant toute nouvelle « convention
collective de travail ».
Là se trouve
la spirale négative !
Rappelons que sans
aucune forme de discussion, sans aucune démocratie, la
direction et les actionnaires exigent des mesures qui :
• interdisent
tout choix personnel au boulot. Le bien-être au travail, c’est
pour quand ?
• imposent la
flexibilité, le stress et l’insécurité au
travail
• poussent à
l’obligation de la polyvalence (sans revalorisation salariale)
• font perdre
des primes (de froid, de « tard »,...)
• brisent des
équipes bien rodées
• engendrent de
profondes modifications pour les travailleurs au niveau des horaires
• déstabilisent
l’équilibre travail/vie privée
Soutenez leur
lutte !
Ne confinons pas nos
revendications et notre solidarité !
Samedi 20 juin est une nouvelle
journée de mobilisation en solidarité avec les
réfugié.e.s.*
Des
rassemblements, des manifestations auront lieu en soutien et pour
exiger la fin de la haine contre les réfugié.e.s.
Le
Haut-Commissariat aux Réfugié.e.s de l'ONU (HCR) nous
rappelle que 79,5 millions de personnes sont déplacées
de force dans le monde. Ce chiffre, nous le savons, est minoré
car des pays ne donnent pas le nombre de déraciné.e.s
en leur sein, comme la Chine par exemple.
Plus
des deux tiers des réfugié.e.s sont originaires de
Syrie, du Venezuela, d'Afghanistan, du Soudan du Sud et du Myanmar.
Des pays rongés par la misère, la guerre, la haine. Des
pays souvent théâtres des guerres déportées
entre grandes puissances (USA, Europe, Russie, Chine).
Le
changement climatique, qui n'existe toujours pas pour certains et
certaines, amène au déplacement contraint de
populations. Rien que cette année, c’est plusieurs
millions de personnes qui ont été directement impactées
par la sécheresse, la montée des eaux ou les pluies
diluviennes.
Face
à cela, nous avons des pays qui se recroquevillent sur
eux-mêmes, qui ferment leurs frontières, qui excluent
les réfugié.e.s, les chassent, les enferment, les
emprisonnent, les criminalisent, les laissent se noyer dans la mer,
le tout avec la collaboration des forces répressives, flics,
garde-côtes et militaires. C’est le cas de l’Europe
et de la France en particulier.
Certains
pays négocient même le fait de faire enfermer des
réfugié.e.s dans des camps au sein d'un pays
limitrophe, à coup de milliards « d’aide »
versés. C’est le choix de l’UE avec la Turquie.
D'autres les « parquent » sur des îles (Grèce,
Australie…). Les gouvernants débordent d'imagination
lorsqu'il s'agit d'exclure et d’humilier !
Nous
savons aussi que des êtres humains, sans attendre les ordre
d'États, savent humilier, exploiter. Nous avons vu des
réfugié.e.s vendu.e.s sur des marchés en Libye
comme esclaves, encore récemment.
Nous
affirmons haut et fort que nous luttons pour la destructions des CRA
(Centre de Rétention Administrative) et toutes les structures
d'enfermement, de contrôle.
Nous
luttons pour l'accès à la santé et à
l'éducation gratuites pour toutes et tous.
Nous
ferons tout pour arrêter les expulsions des squats et autre
lieu de vie et nous luttons pour un logement décent pour
toutes et tous.
Pour
la régularisation (faute de mieux) de toutes et tous, ici,
là-bas, ailleurs dès maintenant. Nulle n’est
étranger nulle part.
Pour
la liberté de circulation.
Si
nous luttons pour le droit de vivre librement pour toutes et tous sur
le globe, il nous paraît évident que nous devrons aller
encore plus loin, aux racines, pour stopper ces déplacements
forcés. Les guerres, le capitalisme, les nationalismes, les
haines, les pouvoirs, les frontières et donc les nations sont
autant de choses qui doivent disparaître pour qu'un jour les
humains et humaines soient libres de vivre, où ils et elles
veulent, comme ils et elles le souhaitent.
Nous
appelons à participer massivement aux rassemblements du 20
juin partout en France et au-delà, à être en
lutte avec celles et ceux qui ne demandent que le droit de vivre.
Notre
patrie c'est le monde, notre loi la liberté. Vive l'anarchie !
Les
relations extérieures de la Fédération
Anarchiste
*
Ce
texte prend le parti d'appeler toute personne en mouvement forcé
« réfugié.e », le terme « migrant·e »
étant déjà une façon de rejeter celles et
ceux qui cherchent refuge.
Et
maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Où est-ce qu’on
en est à présent ? Dans l’entre-deux du
confinement. Pas encore tout-à-fait déconfinés,
déconfinées. Pour ça, faudrait quand-même
le feu vert pour des retrouvailles sans barrière ni distance
avec la familles, les amis, et de se côtoyer dans les restos,
les bistros, les cinés, les théâtres, les
concerts. Et puis sans doute qu’il faudrait arriver à
comprendre les intérêts de chacun, de chacune. Jamais,
ou rarement, il n’a semblé aussi compliqué de
faire le tri. On vient de vivre un gros truc. Le machin qui tiendra
un peu de place dans les livres d’histoire. Peut-être pas
tant que ça finalement. Mais tout de même un peu. Une
fois dans l’histoire, la première, la population
mondiale, en grande partie, a été invitée à
demeurer confinée, c’est à dire à rester
enfermée chez soi, ce qu’elle a fait avec une docilité
qui pourrait rendre perplexe. Pas la population d’une ville,
pas la population d’un pays. Non, plus, beaucoup plus. Au 24
mars, le chiffre de 2,6 milliards de personnes a été
avancé (par exemple par LCIiciou
2,45 milliards par La
Tribuneici).
Cela signifie qu’en soi, la pandémie en elle-même
n’est pas tellement l’événement majeur,
mais bien plutôt le confinement généralisé.
D’autres pandémies ont eu lieu dans le passé,
aussi contagieuses, aussi meurtrières. Et d’autres
malheurs par
ailleurs.
Les guerres, les génocides et les famines, sur ce point,
conservent de très loin leur place en haut du classement. Ce
qui, par ailleurs, ne signifie pas que la pandémie ne
constitue qu’un aspect anecdotique des événements
toujours en cours. Indubitablement, la pandémie représente
le fait central : un virus transmis de l’animal à
l’humain (zoonose) a commencé à infecter une
quantité significative de personnes au début l’année
2020. Le foyer se situe à Wuhan, en Chine. La propagation du
virus à l’échelle a probablement été
favorisée par les moyens actuels de déplacement
(l’avion, en premier lieu). Jusque là, peut-on dire que
tout cela aurait pu être évité ? Pas sûr.
Pas sûr du tout. Du moins, cela dépend des critères
que l’on adopte. Il aurait fallu éviter de bonne heure
l’extension sans mesure de l’activité et de la
présence humaines, rognant sans cesse l’habitat naturel
d’espèces animales sauvages. On peut renvoyer à
une vidéo de Marc Bettinelli, publiée le 19 avril 2020
sur le site du journal Le
Mondeici.
Il aurait fallu changer de manière brutale et radicale les
modalités contemporaines de l’échange, du
commerce, de la consommation, de la mobilité, à
l’échelle planétaire. Autant dire : peine perdue.
De
plus en plus de gens sont tombés malades. Gravement. En Chine,
d’abord, on l’a dit, puis en Italie, puis dans toute
l’Europe et le monde entier. Des régions auront été
moins impactées que d’autres. C’est un autre fait.
Mais les pays d’Europe et les Etats-Unis ont senti un vent de
panique leur souffler dans les bronches en voyant qu’on avait
peut-être, dans le discours officiel des instances politiques,
minimisé la gravité de la maladie. Le corona virus, on
en meurt. Les personnes fragilisées, les plus âgées,
s’avèrent les plus en danger. La courbe des morts s’est
mise à grimper, en Italie, en Espagne, en France, en Belgique.
Le personnel soignant s’est retrouvé en première
ligne, subissant les conséquences d’une vingtaine
d’années de politiques néolibérales,
d’austérité, de réduction du personnel, de
restrictions et de coupes budgétaires. Tout cela aurait-il pu
être évité ? En grande partie, probablement. Il
aurait fallu refuser de considérer des secteurs prioritaires
comme l’éducation, la lutte contre les inégalités
sociales, et la sécurité sociale, à quoi il faut
rattacher le secteur des soins de santé, comme des secteurs
secondaires, ou susceptibles d’être soumis aux principes
de la rentabilité et de la compétitivité. Là
où le capitalisme voit des dépenses, il aurait fallu
parler d’investissement dans le capital humain. Encore que
l’expression
soit déplaisante au possible. Juste se demander : à
quoi sert la prospérité ? Non, mieux : à
quoi bonla
prospérité si l’éducation, la qualité
de vie de l’ensemble de la population, l’accès aux
soins de santé, ne demeurent pas l’objectif même à
atteindre ? Qu’est-ce qui demeure central, toujours et partout,
ici
et maintenant,
si ce n’est la santé, le bien-être, le savoir ? A
cet égard, la solidarité constitue à la fois le
moyen et le but, si l’on aspire à une société
où ces communs, ces biens, sont destinés à être
partagés avec le plus grand nombre. Et non réservés
à une élite. Pas même au mérite ! La
santé, le bien-être, le savoir sont des dus. Même
le pire des connards ou la pire des crapules ne devraient pas pouvoir
en être privés. Il faut aspirer à une solidarité
sociale qui ne laisse personne en arrière, et non à la
prospérité économique. Le
ruissellement, ça ne marche pas.
Beaucoup
de victimes à déplorer, à ce stade, on ne va pas
se cacher la vérité. Les chiffres ne dispensent pas de
penser. Mais on peut commencer avec eux, au moins pour se faire une
idée. Sans oublier tout
le reste.
Parlons pas de dommages collatéraux : le stress, l’épuisement,
la détresse, du personnel médical, des familles des
victimes… Ces gens qui ont du vivre leurs derniers moments
dans l’isolement… Les personnes atteintes d’autres
types de pathologie qui ont dû compter avec des services
débordés… Ces victimes là, pourra-t-on
les dénombrer un jour ? Celles et ceux, ouvriers, employés,
qui ont poursuivi une activité professionnelle dans un secteur
reconnu prioritaire, pour des raisons économiques
(entreprises) ou simplement parce qu’il s’agit de
commerces de première nécessité... Le personnel
a continué à bosser, on n’est pas certain du tout
que les conditions de sécurité sanitaire aient toujours
été respectées... Le chiffre de 75%
d’entreprises contrôlées qui s’avèrent
être en infraction est avancé par le journal Le
Soir
le 8 mai 2020 ici.
Les autres commerçants et commerçantes, ce qu’on
appelle les petites et moyennes entreprises, ou encore les petits
indépendants, au premier rang desquels le secteur Horeca, vont
probablement peiner considérablement pour rattraper la perte
énorme de la période de confinement. Si
seulement cela pouvait leur inculquer l’intérêt de
la lutte sociale et que nul n’a à y gagner dans
l’exploitation de la force de travail d’autrui !…
Quant
au secteur culturel, il s’apprête aussi à sortir
les grandes rames pour galérer - voire continuer à
galérer de plus belle : artistes,
comédiens, comédiennes…
L’école, qu’en dire ? Les gosses auront perdu une
partie de leur scolarité. On peut essayer de rattraper cela ou
se dire qu’ils auront peut-être appris autre chose de
cette période. A moins de se demander s'il n’est pas
temps de commencer à leur enseigner autre chose, et autrement.
Il
est possible de craindre un tsunami psychologique dans les semaines à
venir, conséquence des conditions de confinement (isolement,
stress, anxiété, deuils douloureux, conditions liées
au télétravail, etc.) comme indiqué dans un
titre de La Libre ici.
Bref, comme des cons, déconfiné·e·s, mais
pas sorti·e·s de l’auberge. Pas
de prise de position en l’occurrence, simplement un panorama
des craintes et des plaintes qu’on entend un peu partout, dans
toutes les couches de la société.
Les
conséquences de la crise risquent de se faire sentir
profondément, à plus d’un titre, et il est encore
trop tôt pour les calculer : accroissement des inégalités,
augmentation des troubles psychologiques liés au
confinement,... Une crise sociale et économique se profile à
l’horizon et la meilleure, c’est qu’en fait, ce
sera la conséquence d'une crise économique que les
gouvernements et le patronat comptent bien faire payer à la
population, à coup de nouvelles mesures d’austérité.
Parions que sous peu on va nous faire le coup d’en appeler à
notre civisme et à notre sens des responsabilités pour
accepter les sacrifices qui favoriseront hypothétiquement la
relance économique. Reprendre la croissance où on
l’avait laissée. Retour à la normale. On veut
bien qu’il a fallu suspendre une partie de l’activité
économique, mais maintenant ça suffit, il faut fermer
la parenthèse et repartir du bon pied. Tel
est le discours que la classe politique, dans son allégeance à
la FEB et au grand patronat, sert de bon cœur à une
population traumatisée, qui peine à penser l’exercice
de ses libertés dans de telles conditions. On a gardé
les bêtes à l’étable une grande partie du
printemps, elles trépignent à l’idée de
ressortir à nouveau. Et quand elles peuvent enfin retrouver le
plein air, ce qui les attend, c’est le joug et le labour. Et
les magasins.
Est-ce
qu’on n’aura rien appris de cette parenthèse ?
Est-ce qu’à la clé, on y trouve une forme de
prise de conscience des futur·e·s lésé·e·s
de l’affaire ? Faudrait donc penser qu’à l’inverse
du discours encourageant à la reprise, on trouve des paroles
de révolte, de colère, de rupture avec le modèle
qui nous a conduits là. Seulement voilà, on se trompe
en pensant qu’il suffit de dire que rien ne sera plus jamais
comme avant. Parce qu’il ne suffit pas de le dire, et
d’une, pour que cela se passe – c’est le travers du
performatif pathétique. Mais aussi, de deux, parce que c’est
oublier que beaucoup, beaucoup, vraiment beaucoup de monde appelle de
ses vœux un retour “à la normale”. Quelle
normale ? Les habitudes de consommation, de mobilité et de
loisirs, pardi (qui toutes reposent sur un certain mode de production
des biens) ! Les magasins, la bagnole, les sorties, et peut-être
même le travail, d’une certaine façon. On risque
donc bien de n’avoir rien appris, de tout ça. Sauf
peut-être sur soi-même. Mais celles et ceux-là
savaient déjà qu’ils et elles aspiraient à
sortir de la société de consommation, des énergies
fossiles, du stress, du bruit, de l’esclavage salarial, de la
pollution, du gaspillage, de la maltraitance environnementale, des
inégalités sociales, de l’éducation qui
les reproduit, des inégalités de richesse qui les
entretient, et de l’absence d’alternative politique pour
favoriser la révolution sociale. “Après le Covid,
la colère”, et puis après ? On va aller vers où,
vers quoi ? Mettons que la colère soit largement partagée,
dans la population, depuis les plus démunis jusqu’à
la classe moyenne supérieure ? Déjà ça,
c’est pas gagné. Parce que tout le monde n’est pas
en colère pour les mêmes raisons, et n’aspire pas
aux mêmes solutions. Parce que pour certains, le retour à
la normale, c’est avant tout aussi le retour d’un certain
nombre de privilèges (qui n’avaient pas été
complètement perdus, n’est-ce pas, juste suspendus dans
le pire des cas). Alors on laisse de côté les classes
moyennes supérieures ? Voire les classes moyennes dans
leur ensemble ? Et on vise quoi, on vise qui ? Seulement les
classes laborieuses et les chômeurs ? Il y a fort à
craindre que ça fasse pas grand monde, au final. Il importe de
bien se poser la question : cette crise est-elle un catalyseur ? Et
si oui, de quoi ? Et pour qui ?
Par
décence, il ne pourra pas être dit que la pandémie
aura eu de bons côtés. La pandémie en elle-même,
non. Bien entendu. Tout en nous se révolte à l’idée
même de le penser. Mais le confinement, demandions-nous plus
haut ? Mais la mise à l’arrêt de la frénésie
de nos comportements en matière de consommation, de mobilité,
de production, de loisirs / divertissements
? D’accord, on
a mis sur pause et ça a eu du bon.
La
pollution a diminué de manière considérable,
comme
le signalent les observations de l’Agence spatiale européenne,
ici.
Pollution sonore, aussi. Mais
si rien ne change ? Une minorité (composée
d’adeptes de la décroissance et de contestataires) se
retrouve au pied du mur, contrainte
par ce retour à la normale à sacrifier, oublier,
abandonner, mettre au rencart une bonne fois pour toutes ce moment
suspendu où les bagnoles et les avions ont interrompu
provisoirement leur va et vient frénétique. Reprendre
chacun sa place dans le trafic. Rappelons que le 1% à qui
profite ce mode de vie, reposant sur le travail d’autrui, ne
subit pas l’inconfort des files d’attente et des
embouteillages. Et quand ça se produit, ce n’est pas de
la même façon. Retrouver les caddies remplis de denrées
emballées, suremballées, importées de loin,
voire de très loin, mais pour pas cher parce que la main
d’oeuvre, là-bas,
c’est pour rien. Retrouver le chemin du travail, avec ses
horaires, son métro, ou auto, boulot, dodo, ses relations
hiérarchiques toxiques et malveillantes, mais en fait,
par-dessus tout, la contrainte d’y passer un temps dingue à
y faire quelque chose, qu’on aime ou qu’on n’aime
pas, pour gagner de l’argent (qui permet de rembourser les
crédits), sans pouvoir consacrer ce temps-là à
reprendre le pouvoir sur sa propre existence. Perdre sa vie à
la gagner, air connu. Mais toujours si peu contredit ! Cette
nécessité impérieuse du temps d’occupation
du travail relève de l'évidence la moins remise en
question, sans doute parce qu’on craindrait trop de se demander
si l’on trouverait à quoi s’occuper sans cela. Le
confinement a été contraint, par décision
politique, en se fondant sur le
ressort de la peur,
principalement. Et en jouant sur celui de l’autorité
des experts.
Les libertés fondamentales ont été suspendues,
et la docilité des populations a été eu
rendez-vous. Qui aurait cru cela possible : suspendre toutes nos
activités quotidiennes, travail école, consommation,
mobilité, rassemblement, etc. ? On dira : il a bien
fallu. Oui, il a bien fallu. Peut-être existait-il des
alternatives. Dans l’urgence, pour soulager les travailleurs et
travailleuses de la santé, il a bien fallu faire preuve de
responsabilité. Mais nous autres anarchistes, nous pensons que
de telles décisions pourraient être prises par
consensus, en assemblées, sur le mode du communalisme
libertaire par exemple. Non sur le mode de la posture martiale
(« Nous sommes en guerre ») ou de l’autorité
bienveillante (« C’est pour votre bien »).
A
quoi conduit l’obéissance, tout de même.
Certainement pas à la rupture en tout cas. Et maintenant,
qu’est-ce qu’on fait ? Rester chez soi, pour y disposer
d’un temps de loisir de qualité ? Le confinement n’aura
pas pu nous l’apprendre parce que c’est arrivé
sous contrainte. Et parce que le télétravail a rattrapé
bon nombre des confinés, assignés à résidence
avec nécessité de continuer à rendre des comptes
à un employeur. Oui,
nous sommes ou serons bientôt libres de circuler à
nouveau, de nous rassembler, de nous réunir. Mais nous
retrouvons aussi tant d’obligations, d’impératifs,
d’ordre établi. La distanciation des contraintes ?
Le volet positif de la soi-disant « distanciation
sociale ». Oui, aux yeux de certain·e·s, le
confinement aura représenté une opportunité,
peut-être provisoire, peut-être illusoire, de bousculer
l’ordre établi.
Le
confinement nous aura-t-il appris la décroissance ? Non,
certainement pas. Parce que la décroissance, c’est pas
ça. On résume souvent par le slogan : “Moins de
biens, plus de liens.” Or les liens, justement, c’est là
que le bât a blessé. SI seulement on arrivait à
se dire que ce ne sont pas les magasins qui nous ont manqué,
mais que c’est de pouvoir rencontrer la famille, les amis, les
serrer dans nos bras, leur taper sur l’épaule, ou
d’aller au théâtre, au cinéma ou au bistro,
à la bibliothèque, au foot ou au resto... Peut-être
ainsi sortirions-nous un peu grandi·e·s de l’épreuve.
Et bien décidé·e·s à affronter
tout ce qui limite notre faculté à faire société
de manière solidaire.
Pour
préparer le terrain d’un futur changement, appeler à
l’insurrection est vain. Puéril même. Le temps de
la propagande par l’écrit et par l’exemple est
venu. En constituant à de petites échelles, parfois
simplement au niveau de la cellule familiale, avec des collectifs,
des groupes de quartier, des expériences alternatives, il se
peut que l’inspiration en gagne d’autres. Cela ne peut et
ne doit exclure d’autres voies, résolument collectives à
l’échelle sociale. Mais il ne saurait être
question d’attendre ce changement pour commencer à le
vivre, même partiellement. C’est une question de
désobéissance individuelle. Et aussi d’honnêteté
et d’intégrité. Et maintenant, alors, qu’est-ce
qu’on fait ? On va commencer par énoncer ce qu’on
ne veut plus, de quoi on ne veut plus, et de quoi demain pourrait
être fait. Et au lieu d’écrire un programme, il
convient d’expérimenter localement des modes de vie
en rupture avec les habitudes de consommation, de mobilité, de
loisirs, de politique aussi, qui entretiennent l’illusion
de la croissance et de la production comme vecteurs de la prospérité.
L’anarchisme en cela est une pensée éminemment
dynamique. Elle n’est pas figée, elle ne se
recroqueville pas sur un programme, ou sur des modèles ou des
autorités doctrinales passées ou présentes. Elle
est par nature expérimentale. Elle teste, s'adapte, obtient
des succès, se trompe aussi parfois. Et quand elle se trompe,
elle tâche de tirer parti de ses erreurs. On ne sait pas
répondre avec précision, quand on est anarchiste, à
la question : et maintenant qu’est-ce qu’on fait ? Car la
réponse n’est pas écrite à l’avance.
Elle s’écrit en cours de route, en chemin, en
expérimentant la liberté, l’égalité
et la solidarité, sans maître ni dieu. Vers une société
juste, sans pouvoir ni privilèges, mais privilégiant
les capacités de chacune et chacun, dans le respect de
l’environnement et de l'humain.
Chélidoine.
Groupe
Ici et maintenant de la Fédération anarchiste