Ici et maintenant

Groupe belge de la Fédération anarchiste

Sandro Baguet : des collages immédiats

Rédigé par ici et maintenant 2 commentaires
L’art, l’anarchie et tout le toutim. On a eu envie d’en parler avec le copain Sandro Baguet. Sandro est militant libertaire et artiste plasticien depuis belle lurette, auteur de collages, d’encres et d’acryliques. Il a illustré plusieurs ouvrages toujours en lien avec les luttes sociales et ouvrières. Il fait également partie du groupe belge de la Fédération anarchiste Ici et maintenant. Christophe a recueilli ses paroles au cours d’une interview, à la Maison des huit heures à Charleroi. Retour sur une conversation autour de la lutte ouvrière, du punk et de l’engagement social ! [Cet article a été publié initialement dans le Monde Libertaire n° 1819, dans le dossier d'été consacré à l'art-narchie. Depuis, Sandro a également illustré la Une du numéro 1821 et continue son travail de collagiste.]

Christophe : Tu es de la région louviéroise ? Est-ce que ça compte pour toi, cette région ? Qu'est-ce qui la rend si particulière à tes yeux ?

Sandro Baguet : Effectivement, j'y suis né, j'habite et j'ai milité pas mal dans cette ville de La Louvière. Sans être régionaliste ou enraciné, on ne peut être fier d'un bout de carte géographique, faut néanmoins admettre qu'il y a une atmosphère qui m'emballe. C'est sans doute lié à mon enfance. Durant les années 70, le sport populaire est archi -présent dans cette cité ouvrière. Les prolos se rassemblent pour zieuter les matches de « balle pelote », ça picole et ça rigole dans les quartiers. Il y a foule durant le week-end dans les Maisons du Peuple (café/salle). On y improvise des cinoches, on s'intéresse à la colombophilie, parfois on s'y rend pour un gala de boxe ou un meeting politique. C'est une région (post maintenant) industrielle, fortement syndicalisée, gréviste et politisée à fond. T'as parfois l'impression d'être un peu en autonomie prolétarienne. Le sport populaire a le vent en poupe à l'époque. T'as le jeu de balle, le ping-pong, le foot. À côté des ligues officielles, royales disait-on, il existe une Fédération Ouvrière, progressiste et anticléricale. J'aimais bien ça ! Le patois local aussi. Pratiqué essentiellement dans les familles ouvrières. Même les travailleuses et travailleurs venant d'autres pays baragouinaient un melting-pot dialectal perso composé de français, de wallon et de langue maternelle. Car oui, c'est une terre d'immigration. Ça causait espagnol, italien, grec et polonais dans les mines de charbon, dans les fabriques et les usines sidérurgistes.

C : Milieu ouvrier, culture populaire : en quoi ça te définit ?

SB : Je suis issu de la classe ouvrière. J'en fais d'ailleurs toujours partie, je suis ouvrier d'usine en trois-huit. 

Côté maternel, c'est la Sicile. Mon oncle, mon grand-père, mon parrain, ma mère ... Tu vois cette exploitation -pardon immigration- , ces italiens et siciliens qu'on faisait bosser dans les mines de charbon. Ils en crevaient un jour ou l'autre en crachant leurs malheureux poumons. Pour un salaire plutôt limite. Ils s'entassaient dans des logements insalubres. Ça sentait les pâtes, la baston, le chianti, la revanche, les pois chiches, les tartines qui grillaient sur l'estuve (poêle au charbon) et la tomate. Moi, ça m'a donné le goût de la lutte antiraciste, de la sauce ragú-bolognaise et ça m'a filé un irrésistible penchant pour la rage prolétarienne, ça a accentué mon refus de la domination et de la hargne xénophobe. La rebuffade pour la résignation.

Côté paternel, on hérite d'un climat socialo-communiste. On se méfie des uniformes, des bourgeois, des calotins et des galons. Dieu n'est pas un problème. Il n'existe pas. Il ne nous surveille pas. On s'en branle. On vit un anticléricalisme tranquille et rigolard. Ces croyances, c'est pas sérieux franchement ! On y pige que dalle. 

On se souvient de la résistance aux nazis, des insurrections de 1950 contre la royauté et de la grève générale de l'hiver 60/61. 

Chaque semaine, mon père bossant à la Capitale ramène de la lecture. La presse communiste, des brochures anarchistes, le journal Pour et des pamphlets d'ultra-gauche. Ça me botte. Ça côtoie Pif Gadget et le périodique syndical. 

 Les rencontres feront le reste : un militant aguerri de la Jeune Garde Socialiste (Quatrième Internationale), la nébuleuse anarchiste bruxelloise du 65 rue du Midi/Alternative Libertaire, l'écrivain Denys-Louis Colaux (« l'art n'appartient pas aux bourgeois, il ne faut pas leur laisser »),...

Puis, on gamberge ferme à propos de l'esclavage salarial dans lequel la majorité de la population est contrainte de vendre sa force de travail et son corps afin de survivre. Un esclavage qui traîne derrière lui toutes les formes les plus abjectes des sociétés précédentes...

C : Et du coup, ton parcours personnel : qu'est-ce qu'il y a d'important à retenir selon toi ?

SB : Adolescence, le choc : le mouvement punk. Le graphisme, la musique, l'insolence, ça m'épate. On peut créer, si on le désire. Quelques collagistes sortent du lot : l'inventive Gee Vaucher de CRASS,  l'esthétique de Jamie Reid autour du groupe Sex Pistols, le libertaire Winston Smith / Dead kennedys. Des tas de fanzines circulent. Tous plus ingénieux les uns que les autres. Des individus s'investissent complètement dans la création et la diffusion. Ça prenait du temps à l'époque : fallait coller, taper à la machine à écrire, récolter les interviews par La Poste, trouver des astuces pour photocopier le bazar pour pas cher... la liberté d'expression, ça se méritait ! Avec d'autres, on met en route un zine, on monte des concerts, on participe à la scène. Toujours en apportant un fond politique indispensable et important.

C'est l'époque de Reagan, Thatcher & Pinochet, de l'apartheid, la révolution sandiniste, la crise des missiles nucléaires, des tensions de la guerre froide, de la fin des trente glorieuses, des licenciements massifs, des coups d'éclat d'Action Directe ou des CCC, des luttes contre l'allongement de la durée du service militaire, de Bérurier Noir,...

C : Ton approche artistique :est une combinaison de techniques diverses ? Collages - encres - acryliques : tu peux expliquer ?

SB : Le collage c'est l'urgence. L'art décoratif n'a pas vraiment d'intérêt. C'est rechercher les différentes manières de dire non. C'est créer des scénettes improbables. Qui ne peuvent pas exister. Avec un certain sens plastique. Et un attachement pour tenter de faire chauffer les ciboulots. Souvent avec effronterie. Mettre à bas la tyrannie du « bon sens » du boutiquier.

Ça correspond à « ma » réalité, à une critique du capitalisme, de l'illusion démocratique, de la « dictature de la fabrique » qu'on a devant la gueule. Un réquisitoire contre cette désolante aptitude pour la soumission. 

C'est de l'instinct de classe. La révulsion pour la société divisée en classes, de l'État qui est l'organisation du pouvoir de la classe privilégiée sur le plan économique. Bien que la bourgeoisie représente la minorité de la société. Le refus des dégoûtants lendemains qu'on nous prépare avec l'aide de la violence ordurière et raciste de l'extrême-droite, colportée par de pitoyables bandes d'éclopés du cerveau.

C : Tu as participé à des expos, illustré des bouquins... Comment ça s’est goupillé ?

SB : Les rencontres militantes, les accointances amicales, le circuit alternatif, la reconnaissance mutuelle m'ont poussé à collaborer avec des associations ou des individus. Je vais vers celles et ceux qui refusent l'individualisme exacerbé et la vision libérale du « chacun sa merde » et du « pousse-toi de là que j'm'y mette! » Vers celles et ceux pour qui l'engagement ne les met jamais réellement à l'abri de l'inconfort du doute. Susciter des événements et des choses, ne pas rester passif.

Être à l'écoute de toutes les manières de dire non, même si c'est complètement éphémère, c'est crucial. Et ça m'a poussé à collaborer à un tas de revues, d'effectuer des frontispices et couvertures de bouquins ou de recueils de poésie, à signer la pochette de l'album CD « sang bouillant » du groupe La Marmite.

C : On évoque en quelques lignes tes affinités avec le mouvement anarchiste. C’est arrivé comment ?

SB : C'était il y a longtemps et ça vaut ce que ça vaut. Parfois tu as des références un peu pourries: l'album des Sex Pistols, le vinyle « Punks'not dead » de Exploited, The Clash, la deuxième vague du ska... ça cause politique. Occasionnellement d'anarchie. Les fanzines avaient une teinte libertaire et antifasciste.

Quelques films aussi :Sacco et Vanzetti, Alexandre le bienheureux, La bande à Bonnot,...

D'abord tu tâtes de l'arbitraire en milieu scolaire. Ensuite, tu te frottes aux cafards racistes. Et la prédominance de la domestication et des hiérarchies au taf fait le reste.

Début 90, Immanquablement, je me suis lié au mouvement bruxellois gravitant autour d'Alternative Libertaire et du groupe anarchiste Otchaïanié. 

Et actuellement, soutenir cette bonne vieille Fédération historique me semble être le strict minimum.

C : Quel présent, quel avenir pour l'art dans les luttes sociales ? Tu penses que ça pourrait contribuer à faire émerger une conscience de classe ?

SB : Zbim, la question qui dévaste! Ça me fait penser direct au dialogue sur l'engagement entre Ferrat et Brassens (ORTF 1969).

Jean Ferrat : « Je crois personnellement que la démarche individuelle est extrêmement importante. Elle est même capitale, mais elle ne remplace pas l'autre. C'est-à-dire que seul, on ne peut pas grand-chose. On ne peut même rien pratiquement si on n'est pas entouré. Pour avoir une action possible et efficace, il faut être en groupe (...) On vit dans un monde atroce, on subit des pressions considérables... Pour moi, les choses sont claires, d'une certaine manière. En gros, dans notre société actuelle, il y a des exploiteurs et il y a des exploités. Je suis du côté des exploités, bien entendu. ».

Le Georges soutenait: « Moi, tu sais, je n'ai jamais cru aux solutions collectives. C'est une opinion tout à fait personnelle et très discutable, ne croyant pas aux opinions collectives et étant contre personnellement, sur le plan esthétique dans le domaine de la chanson, étant contre l'efficacité. (...) Je ne tiens pas, par exemple à donner des explications et à donner une morale, à indiquer les voies que je pense qu'il faut suivre ou ne pas suivre. Je me borne, si tu veux, à donner mes impressions en face de problèmes (...) Ce n'est pas sûr que l'art ne puisse pas changer le monde. L'art pur peut sûrement changer le monde. Je crois que c'est l'art explicatif qui peut difficilement changer le monde (...) Et j'ai peur que l'homme ne soit pas prêt de changer. Non pas que je le trouve très mauvais, mais enfin... même dans une société tout à fait parfaite, je crois que l'homme inventerait encore, parce qu'il est très industrieux, il est très imaginatif. Il inventerait, il trouverait le moyen de foutre la pagaille. »

Je n'ai toujours pas réussi à trancher. Et ce n'est pas vraiment dramatique.

C : Une dernière question et je te fous la paix. Quand tu entends le mot "culture"... tu fais quoi ?

SB : Je sors mon revolver à eau ! Mon nez de clown et ma conscience de classe.

2 commentaires

#1  - daniel a dit :

Bonjour Sandro, bonjour tout le monde ! Je profite de ce moment de grande expression, pour faire la proposition suivante ... je viens de découvrir que mélenchon à sa propre appli-réseau social, pour sa campagne, destinée à celles/ceux qui le soutiennent, j'ai pas y été voir, je ne suis pas mélenchoniste, mais, avoir son propre réseau me semble une bonne idée, pour nous, les anars ... ce serait bien d'un côté, un réseau ouvert aux libertaires et sympathisantEs, impliquéEs dans les luttes sociales, antiracistes, féministes, soutien aux lgtb, sans papiers, sans abris, actions artistiques, etc ... afin de se retrouver, se soutenir, s'entraider, se coordonner, etc ... parce que sur les réseaux sociaux capitalistes, on se retrouve, mais, il y a beaucoup de trolls, ce qui en décourage pas mal ... d'un côté, l'on aurait ce réseau personnel, et de l'autre, on se confrontait aux autres, sur les hashtags, etc ...

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#2  - Christophe De Mos a dit :

Salut Daniel ! Ce serait bien que tu viennes proposer ton idée lors d'une de nos réunions. Si ça te dit, prends contact avec nous via notre adresse mail : groupe-ici-et-maintenant@federation-anarchiste.org
Amitiés !

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