Ici et maintenant

Groupe belge de la Fédération anarchiste

Les anarchistes à nouveau fréquentables

Rédigé par ici et maintenant 4 commentaires

France Culture qui consacre une émission Les Chemins de la philosophie à Bakounine, le capital sympathie drainé par Isabelle Attard et son interview virale sur Reporterre, le quotidien de l'écologie, et maintenant RTBF Info qui enfonce le clou, en faisant à son tour l'éloge de la fréquentabilité des anarchistes... Une BD vient de sortir, signée Véronique Bergen sur les dessins de Winschluss (éditions du Lombard), intitulée L’Anarchie, et on en parle sur la chaîne du service public (lien). Que se passe-t-il ? Les médias plus ou moins mainstream et respectables auraient-ils découvert un nouveau continent ?


Allez, on va pas bouder notre plaisir ! C'est plutôt positif pour un mouvement caricaturé à l'envi depuis sa naissance, et dont on n'a retenu en général que la période de la propagande par le fait. Foutus poseurs de bombes, va ! Ou : comment faire passer pour de dangereux criminels des Ravachol ou des Émile Henry, qui voulaient renverser une société qui, entre 1914 et 1918, a engendré un des conflits les plus meurtriers de l'histoire. Les "terroristes anarchistes" ? Des petits joueurs face aux bouchers célébrés comme des héros des Nations !

Toujours est-il que le risque est grand, et la tentation guette, de demeurer dans l'entre-soi des "vrais" anarchistes militant.e.s. Alors, non, on ne va pas bouder notre plaisir et rester de notre côté, chacun, chacune dans nos factions (parce que c’est bien connu, en plus : moins on est nombreux, plus on se divise, parmi les milieux activistes…!) Tout comme on ne l'a pas boudé quand ARTE a diffusé le documentaire de Tancrède Ramonet, "Ni dieu ni maître". Au demeurant, c’est assez cocasse de constater que la chaîne de télé culturelle n’a pas souhaité financer la suite prévue par le réalisateur… Parce que cet ultime volet se rapprochait un peu trop d’ici et maintenant ? Parce qu’on quittait le sol rassurant de l'illustre passé ? Parce qu’on pourrait craindre de favoriser un regain d’engagement anarchiste aujourd’hui ? Allons, assez de mauvais esprit ! Quels rabat-joie, ces anars…

En fait, ce qu'on veut rappeler, surtout, c'est que l'anarchisme, ces n'est pas un courant pittoresque de l'histoire. Ce n'est pas une clique de doux utopistes rêveurs, pas plus qu'on ne peut résumer leur influence aux attentats des propagandistes par le fait. Les anarchistes, aujourd’hui plus que jamais, ne font pas la révolution « pour rire ». Il est réellement question de favoriser l’éclatement de la révolution sociale, encore et toujours, c’est-à-dire l’avènement d’une société sans classe et sans état, avec les terres et les moyens de production aux mains des travailleurs et travailleuses (un socialisme non autoritaire… libertaire, quoi !), débarrassée de toutes les formes d’aliénation que sont le patriarcat, le salariat, le religionariat (des fois, il faut pouvoir avoir recours à des néologismes juste pour le plaisir de la rime !)

Le problème de la pratique libertaire, aux yeux de l’état bourgeois, comme à ceux des états despotiques au demeurant, c’est que ça marche ! Chaque fois que les anarchistes sont aux commandes, les droits sociaux évoluent dans le bon sens. Voilà sans doute ce que veut faire savoir madame Véronique Bergen. Mais que les anarchistes, peu nombreux et nombreuses, savaient déjà… Alors quoi, quel constat ? Notre mode de propagande, à nous autres anarchistes, serait-il défaillant ? Peut-être. Faut dire qu'on n'a pas les mêmes moyens non plus (on parle ici de moyens financiers, bien entendu). En attendant, nous pensons que ces petits pas, dans le bon sens, des médias bourgeois et des médias plus ou moins alternatifs devraient les inciter à aller encore plus loin. Non seulement en évoquant, par exemple, les luttes qui se mènent actuellement en Rojava, ou plus près de nous, à Exarcheia, quartier d’Athènes où se déroulent des événements décisifs pour l’avenir des libertés, en Grèce comme partout en Europe et dans le monde. Mais encore, en revendiquant l’application concrète de l’autogestion au sein même de leurs entreprises ! Délivrez-vous, autant que possible, tant de l’actionnariat que des conseils d’administration politisés, qui ne convoitent que l’accaparement des petites parcelles de pouvoir autojustifiant leur existence. Et, vous le savez, le pouvoir est maudit, comme a dit Louise Michel...

Allez, compagnons, compagnonnes, encore un petit effort si vous voulez devenir anarchistes !…


Chélidoine


https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/quatre-philosophes-russes-44-bakounine-lanarchiste


https://reporterre.net/VIDEO-Je-suis-devenue-anarchiste


http://blogyy.net/2019/12/04/le-bras-de-fer-a-exarcheia-setend-a-toute-la-grece/


4 commentaires

#1  - aire libre a dit :

Salut camarade rédacteur ou rédactrice, il y a une expression assez incongrue concernant la pratique anarchiste dans le texte " [...] Chaque fois que les anarchistes sont aux commandes" la suite est une évidence mais les anarchistes ne souhaitent pas être aux commandes.

Longue vie à l'anarchie, @Aire Libre

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#2  - Jean-Christophe a dit :

"Chaque fois que les anarchistes sont aux commandes" ???
Dire "aux commandes" a quelque chose d'incongru concernant les anarchistes (absence d'arkhè, càd de commandement) !
Je pourrais suggérer : "luttent et agissent intensivement"

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#3  - andre Favoriti a dit :

Sans partage , l'information reste muette ,l'entre-sois ne sert en aucun cas la cause anarchiste

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#4  - René a dit :

L'expression "aux commandes" ne me gêne pas du tout dans ce contexte. Ce qui est important, ce n'est pas d'être "aux commandes", c'est comment ceux qui sont aux commandes ont été désignés et comment ils sont contrôlés et éventuellement révoqués. Les libertaires espagnols en 1936-1939 ne se sont pas contenté de "lutter et d'agir intensément" pour que la population puisse contrôler l'industrie, l'agriculture, les transports et le commerce pendant 3 ans. Une fois qu'on a "agi et lutté intensivement", que fait-on lorsqu'on est au pied du mur? On passe la main? On fait comme Voline en 1905 qui n'a pas voulu prendre la présidence du soviet de Petrograd parce qu'il ne voulait pas faire œuvre d'"autorité"???

♦ Pour revenir au texte de Véronique Bergen, évidemment je ne vais pas "bouder mon plaisir" de voir le mouvement libertaire abordé de manière positive, et j'en remercie l'autrice de la BD (qui reconnaît ne pas être une spécialiste, mais ça on l'a vu) et le dessinateur. Mais je regrette un peu que ce travail ait été fait par une personne ayant d'évidentes lacunes. Il est certain que lorsqu'on est interviewé par une radio on ne peut pas tout dire, on est obligé d'aller au plus court et l'excitation du moment conduit à faire des lapsus. Comme "Bellarigue" au lieu de "Bellegarrigue". Mais tout de même. Véronique Bergen parle de "Manifeste des Treize" pour désigner les signataires en 1916 d'un manifeste en faveur de la Guerre. Elle voulait sans doute parler du "Manifeste des Seize".
♦ Au début du clip de l'émission, on entend une voix faisant une citation qui commence par "quand les ouvriers cesseront d'être endormis par la fatigue" ... etc, et qui se termine par "ce n'est que par l'audace ennemie de toute règle et de toute discipline que l'ennemi peut être vaincu". Tout cela attribué à Bakounine. Je n'ai pas réussi à identifier l'auteur de la première partie de la citation, et pourtant je connais bien Bakounine. Mais la deuxième partie que je cite ici n'est pas de Bakounine mais de ... Stirner!!! Ce n'est sans doute pas la faute de Véronique Bergen puisque c'est tiré d'un film, mais ça la fout mal.
♦ Ensuite je pense que Véronique consacre trop de temps à Blanqui, dont la pensée n'a en rien influencé l'anarchisme, à part son slogan « ni Dieu ni maître ».
Elle consacre également trop de temps à la partie de l'activité de Bakounine pendant la révolution de 1848-1849 en Europe centrale parce qu'à ce moment-là, il n'était pas encore "anarchiste".
De même, elle perd son temps avec Stirner, parce qu'il n'était pas anarchiste. Et il n'était même pas individualiste, mais je ne vais pas m'étendre là-dessus…
Tout ce temps perdu aurait pu être consacré à autre chose.
♦ Véronique Bergen distingue dans le mouvement anarchiste deux courants: un courant individualiste, dont elle dit qu'il est très minoritaire et un courant social. J'aurais tendance à penser que si un courant est "très minoritaire", ce n'est plus un courant. Il n'est pas contestable qu'au sein de l'anarchisme il y a eu une mouvance individualiste, mais il est absurde de définir l'anarchisme comme un mouvement politique dont l'un des courants serait "individualiste". Il aurait été bien plus pertinent de dire que l'anarchisme est un mouvement constitué d'un courant syndicaliste et d'un courant non syndicaliste. Cela correspondrait bien plus à la réalité.
♦ Concernant les anarchistes qui ont soutenu la guerre en 1916, Véronique Bergen s'égare un peu. Elle laisse entendre que le mouvement libertaire international était divisé en deux sur cette question. Pas du tout. Une infime minorité a pris parti pour la guerre: les seize (qui étaient en fait quinze) signataires du Manifeste, plus une centaine de personnes qui ont fait connaître leur approbation envers le Manifeste, et c'est tout. L'ÉCRASANTE MAJORITÉ du mouvement anarchiste international a condamné la guerre et les signataires du Manifeste de Seize. On peut regretter que puisqu'elle parlait de la guerre, Véronique Bergen aurait pu mentionner un autre manifeste, datant de l'année précédente, 1915: le Manifeste international des anarchistes contre la guerre, soutenu, lui, par l' ÉCRASANTE MAJORITÉ du mouvement anarchiste. C'est une erreur absolue que de laisser croire que le mouvement anarchiste international balançait de manière égale entre le soutien et la condamnation de la guerre. Il n'y a pas photo, il était contre.
♦ Un autre point, la période des attentats. Je ne pense pas que les attentats soient le résultat de la répression de la Commune. Dès le lendemain de l'écrasement de la Commune, malgré une répression féroce, le mouvement ouvrier se reconstitue peu à peu, et de nombreux anarchistes y contribuent. Les attentats selon moi furent d'abord le fait d'ouvriers exacerbés par l'arbitraire patronal, le comportement des chefs et des ingénieurs. Les premiers attentats eurent lieu spontanément sans que les anarchistes y soient pour rien: on revolvérise un contremaître, on défenestre un ingénieur. Il est vrai que les attentats en Russie aient pu influencer certains anarchistes. La plupart des attentats en France furent motivés par le désir de vengeance. Quant à Ravachol, une figure qui a été mythifiée, on oublie en général de préciser que s'il a été condamné à mort, ce n'est pas pour ses attentats mais parce qu'il a assassiné un vieillard de 90 ans dans des conditions atroces.
Mais pendant que les attentats se déroulaient, d'autres militants anarchistes agissaient déjà au sein de la classe ouvrière, depuis longtemps: c'est pendant que certains anarchistes lançaient des bombes que se forma le syndicalisme révolutionnaire, auquel les militants anarchistes contribuèrent de manière décisive. Fernand Pelloutier, l’organisateur de la Fédération des Bourses du travail, était exaspéré par les attentats. Donc il est faux de dire que l'arrêt des attentats avait pour but de se "réconcilier avec le peuple". Les attentats ont cessé parce que leurs auteurs se sont rendu compte de l'échec total de cette stratégie.
♦ Autre chose. Véronique Bergen confond syndicalisme révolutionnaire et anarcho-syndicalisme. Ce sont deux choses différentes, malgré d'évidentes analogies. L'anarcho-syndicalisme en tant que mouvement n'apparaît qu'après la révolution russe, dans les années 20. C'est un peu compliqué, je ne m'attarde pas là-dessus.
♦ Véronique Bergen a l'air d'en tenir à l'anarchisme comme ayant une "filiation hégélienne". C'est peut-être sa formation de philosophe qui la pousse à dire ça mais c'est faux. Enfin, c'est vrai pour Bakounine, qui était un très bon connaisseur de Hegel, plus que Marx, puisqu'il a étudié notamment avec un disciple de Hegel, Werder, avec qui il avait sympathisé. Mais ça s'arrête là. Lors de leur séjour à Paris dans les années 1840, Bakounine et Marx se sont arrachés eus cheveux pour tenter de former Proudhon à la philosophie de Hegel, sans grand succès. Et pour ce qui concerne Kropotkine, il haïssait férocement la philosophie allemande en général et Hegel en particulier. On voit donc que Véronique Bergen tombe à côté de la plaque.

♦ Pour terminer, quelques mots sur le "spontanéisme" que Véronique Bergen attribue à Bakounine:

"... La question n'est pas de savoir s'ils [les travailleurs] peuvent se soulever, mais s'ils sont capables de construire une organisation qui leur donne les moyens d'arriver à une fin victorieuse — non pas à une victoire fortuite, mais à un triomphe prolongé et dernier." (Maximoff, 367, 70)

"Il ne faut pas que la révolution se déshonore par un soulèvement insensé et que l'idée d'un soulèvement révolutionnaire tombe dans le ridicule" (Cerretti 180-182, 72.)

J'arrête à mes commentaires.

Je le répète: je ne boude pas mon plaisir de voir l'anarchisme abordé d'une manière positive, manifestement honnête, mais maladroite et lacunaire.
Je n'ai voulu ici qu'apporter quelques réflexions de manière fraternelle et sans esprit de polémique.
J'invite ceux et celles qui souhaitent avoir des précisions à contacter le Cercle d'études libertaires Gaston-Leval, cel-gl@orange.fr.

Amicalement
René

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