Arèdje ton char, Binamé !
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René Binamé est un groupe belge fondé en 1988. Troubadours libertaires. Trimardeurs du rock libre. Ils ne te proposent pas une soupe fade ou de l’eau de vaisselle. Ça cravache ! De vrais dynamitards de la zicmu. Les Archives de la Zone Mondiale et Aredje viennent de rééditer les albums Le Temps Payé Ne Revient Plus (2008) et Kestufé Du Wéékend ? (2000) en CD et LP. L’occasion rêvée pour un petit entretien avec Olivier, chanteur, batteur et membre fondateur du combo.
Rééditer
l’album Kestufé
Du Wéékend ?
en plein confinement, dans un climat de couvre-feu généralisé,
c’est presque une vanne malicieuse ?
Ça
en a tout l’air mais en réalité, avouons-le,
c’est le fait du hasard. Mais cette coïncidence est
tristement intéressante.
Kestufé du wéékend
? Le morceau éponyme, c’était la to do list d’un
cadre qui cravache et se cravache. Kestufé du wéékend
en 2020 ? La question elle est vite répondue : « Je
bride les interactions sociales, les réunions familiales, les
rencontres amicales, je garde la seule chose qui compte, le travail,
l’accumulation du profit. » On le sait qu’il y a
plein d’activité qui doivent continuer voire augmenter,
mais pas n’importe comment, et on en verrait bien d’autres
disparaître sans les regretter, mais pas n’importe
comment non plus. Ça c’est le sujet de Tic-Tac, le
second morceau.
Il est à craindre que ce disque trouve
une résonance avec l’actualité tant que nous
serons sous la coupe du capital, tout simplement, et tout
particulièrement en situation de crise quand le parti de
l’ordre a le vent en poupe.
Sur
Le
Temps Payé Ne Revient Plus,
on savoure deux reprises époustouflantes. De la variété
française fignolée. Eddy Mitchell et Sheila sonnent
chansonnier(e)s anarchistes! T’as été bercé
par la chanson française populaire ? Ou c’est autre
chose ?
C’est
tout à fait ça, bercé par la chanson française,
sous toutes ses formes, engagée, sérieuse, légère.
Avec le recul, on se rend compte qu’énormément de
chansons à première vue frivoles avaient un fond,
parlaient sans en avoir l’air des problèmes de la vie
quotidienne. Comme « L’heure de la sortie » de
Sheila, mais beaucoup d’autres apparemment tout aussi
inoffensives.
Et puis il y avait le papy Brassens, Moustaki,
tonton Beaucarne, puis plus tard Trust, Brigitte Fontaine, Anne
Sylvestre, Marc Ogeret, les 4 barbus, le GAM . Au final, quand
Bérurier Noir est arrivé à nos oreilles, c’était
encore de la chanson française, mais pas mal plus sombre et
rugueuse, c’est clair.
Tout récemment, on s’est
de nouveau fait plaisir en reprenant le « Merci Patron »
des Charlots (en changeant le dernier couplet.
C’est un problème de pas mal de chansons d’avoir un ou deux couplets intéressants puis une chute qui rétablit l’ordre...) et le « Allez les gars » du GAM (mais là, on est dans une chanson d’emblée délibérément combative) !
Dans
ce CD, on prend parti ! Sur l’esclavage salarié, les
kermesses électorales et la délégation du
pouvoir notamment ...
Y
a une évolution. Nos premiers disques, y avait une bonne part
de défoulement, de provoc, de dérision, du blasphème,
de la moquerie. On ruait dans nos brancards du moment, un carcan
catholique pesant. Nos cibles étaient classiques : le flic, le
curé, le soldat. Puis on s’est rendu compte que même
s’il y avait un symbole « dollar » sur la pochette
de notre album Vocation
, à côté de galons et d’une croix, nous
n’avions pourtant pas abordé le sujet de l’économie,
de l’exploitation. Enfin si, mais par des reprises,
l’Internationale dès nos débuts, puis une série
de brûlots anarchistes. Avec Kestufé, on avait délibéré
de le faire avec nos propres chansons.
On
peut entendre une voix féminine sur deux morceaux. D’où
vient ce fascinant et radical gazouillis ?
C’est
Magali, du groupe parisien La Fraction, qui chante « Tic-Tac »
et c’est Rachou, du groupe bruxello-suisse Pierre Normal, qui
chante « Quelques mots sur le cirque électoral ».
La Fraction, je pense qu’il ne faut plus les présenter,
c’est quand même une référence absolue en
punk-rock français, avec de beaux textes bien posés sur
des riffs plein d’énergie. Pierre Normal, c’est
sans doute plus confidentiel, c’est chantant, électronique,
poétique mais loin d’être inoffensif.
A
propos d’anarchie, qu’est-ce qui te séduit
là-dedans ? Ce que tu en as retiré et qui est
non-négociable ?
L’étymologie,
absence de pouvoir, de commandement, c’est à la fois la
séduction de base et c’est ça qui est
non-négociable. Pour peu qu’on soit en froid avec les
fauteurs de l’ordre, les petits chefs, le carcan familial, les
profs autoritaires, on est forcément séduit si on a la
chance de rencontrer l’anarchie dans ses lectures, des
conversations, des films, des chansons. C’est romantique et ça
pourrait se ramener à la phrase de Clémenceau : «
L’homme qui n’a pas été anarchiste à
seize ans est un imbécile. Mais c’en est un autre, s’il
l’est encore à quarante. » C’est habile
comme formulation, aussi beau que « tout corps plongé
dans un liquide... » mais c’est tout. Et au final notre
anarchisme n’a pas fondu avec l’âge, il s’est
consolidé au contact d’initiatives concrètes de
luttes et/ou au fil des concerts de soutien à des collectifs
en tout genre, des fêtes de lieux de vie, de lieux de
production ou de culture en autogestion en rupture avec les modes de
fonctionnement dominants, de bâtiments ou terrains occupés
en luttes contre des projets nuisibles.
Cette
ardeur de musicien libertaire, c’est aussi pour tenter de vivre
« en-dehors », d’échapper au salariat ?
Vivre sa vie sans attendre l’âge d’or ?
Pour
éviter le salariat, pour diminuer son emprise sur nos vies en
tout cas, on est plutôt passé par la mise en commun, la
vie en collectif, une relative austérité joyeuse. Notre
activité musicale a certainement aidé puisqu’elle
provoque beaucoup de rencontres qui nous apprennent énormément.
Mais nous ne sommes pas des artistes professionnels. Pas par échec,
c’est un choix initial délibéré, qui
aurait pu fondre ou diverger par la suite mais qui ne l’a pas
fait. Un choix qui nous permet de jouer sans impératif de
rentabilité, de retour sur investissement. Notre parcours
pourrait être vu comme une carrière qui n’a pas
décollé, une incapacité à percer, mais vu
de l’intérieur, c’est l’expression de notre
refus de parvenir, de notre volonté d’être
effectivement en-dehors de l’industrie du spectacle, de
s’offrir et d’offrir autre chose.
Binamé
est indissociable du label « Aredje ». C’est quoi
c’t’histoire ? Et quelles récentes découvertes
chouettardes sont proposées ?
C’est
une histoire simple… Quand on a sorti notre premier disque en
1988, on s’est dit qu’il fallait un nom de label et on
s’est fait plaisir en prenant un mot wallon qui évoque
le désordre, le boucan, la chienlit. Avec quelques mots en
plus, «Aredje, chal e asteure » ... Aredje, ici et
maintenant ! Aredje peut ressembler à un vrai label mais à
y regarder de plus près, on est longtemps restés pour
l’essentiel (et avec plaisir) dans l’auto-production la
plus basique avec les disques d’abord de René Binamé
et des Slugs, puis de Beticiclopp, Crête et Pâquerette,
La Marmite, les Lapins Électriques, Krakenizer. Ceci dit, ces
dernières années, nous avons filé un plus ou
moins petit coup de main à pas mal de groupes ce qui nous
amène à une perle, le crépusculaire album «
Je reviendrai » de Manu & the Bouret’s.
On
se quitte en abordant les éventuels projets, les prochaines
envies…
Les
projets sont clairement sur pause, on a bien fait deux clips de
confinement, mais on n’a pas trop envie de se lancer dans une
existence virtuelle qui est tellement à l’opposé
de ce qu’on cherche. On veut des bisous, de la sueur, des
contacts, respirer ensemble, masqué·e·s s’il
le faut, pas tout de suite s’il faut attendre que passent des
vagues, mais on veut se secouer pour dépasser cela... du coup,
nos répés, plus nombreuses que d’habitude, sont
plutôt des temps de réflexion... ce qui est confortable
pour les voisins !
Propos
recueillis par Sandro
Groupe Ici & Maintenant (Belgique) de
la Fédération anarchiste