Le comble pourrait paraître, aux yeux d’actuel·le·s
contempteur·se·s de l’état, que les
anarchistes se plient docilement aux mesures sanitaires imposées
par le Comité de Sécurité Nationale, sous la
caution d’experts suspects de complaisance avec le pouvoir.
Imposées, oui, puisque leur entrée en vigueur est
assortie des contrôles et sanction de rigueur, sous la férule
des habituels « représentants de l’ordre »,
nos amis les flics. Imposées, oui, puisque, de fait, la
consultation de la population demeure inexistante dans l’actuel
régime qualifié de démocratique.
Sous des formes
diverses, un discours circule qui, à première vue,
pioche sans vergogne dans une phraséologie qui pourrait
évoquer celle des anarchistes. Méfiance envers un État
qui impose ses lois, établissement sournois d’une
dictature sanitaire, diminution des libertés puis perte de la
liberté… Les gens qui nous gouvernent tireraient
prétexte d’un risque qualifié de négligeable
pour jouer sur les peurs de la population et instaurer des mesures
établissant le cadre d’une future et progressive
tyrannie des actuels dirigeants de l’État. Le « peuple »
qui se soumet aveuglément constituerait un ramassis de
moutons, de larbins serviles qui n’osent pas se révolter
contre ces diktats irrationnels.
En apparence, ça
a la couleur de l’anarchisme, ça a le goût de
l’anarchisme.
Mais ce n’est
pas de l’anarchisme.
Oui, pour nous
autres anarchistes, l’État continue de représenter
l’ennemi à abattre.
Oui, toute dérive
sécuritaire, toute forme d’exercice du pouvoir, toute
violence légale, tout glissement vers une forme encore plus
autoritaire de gouvernement, tout cela est un objet de détestation
de la part des anarchistes.
Mais ne nous y
trompons pas ! Les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément
nos amis !…
On a d’abord
envie de railler. Bonjour la prise de conscience !… 2020,
il vous en a fallu du temps pour réaliser que l’État
portait en lui toute une série de potentialités
d’oppression. Il est significatif de constater que la majorité
des milieux anti-mesures sanitaires, anti-masques, anti-vaccins, etc.
appartiennent plutôt à des catégories favorisées
de la population. Le soupçon se fait jour d’y voir une
classe moyenne, plutôt à l’abri du besoin en
général, qui crie au complot de l’État
menaçant de réduire « nos »
libertés. Nos libertés, en l’occurrence,
il s’agit d’abord de leurs privilèges. Dans
bien des cas, il s’avère que le glissement vers la
droite les entraîne à assumer ouvertement et à
afficher leur ralliement au « mouvement » (on
ne sait trop comment le qualifier) xénophobe, homophobe et
anti-féministe Q-anon.
Autre soupçon :
pour ces personnes, il ne s’agit pas de tirer prétexte
de la « soi-disant pandémie » pour
stopper toute une série de chaînes de production, où
se trouvent des ouvriers et des ouvrières au travail,
pourvoyeuses de biens de consommation. Au boulot, les larbins !
Ces pseudos révolutionnaires ignorent, comme ils l’ont
toujours fait, les véritables enjeux sociaux de l’oppression
économique.
Alors quoi ?
Nous autres anarchistes, nous serions d’accord avec les
décideurs, les dirigeants, les représentants du
pouvoir ?!
Non.
Nous sommes d’abord
solidaires. Nous pensons d’abord aux populations fragilisées,
à risque, les plus exposées au risque mortel dont le
virus du covid est potentiellement porteur. Nous pensons ensuite aux
membres du personnel des soins de santé, les applaudi·e·s
de 20h il y a quelques mois… Celles et ceux qui ont dit cet
été : OK, la première vague est passée,
mais faut se préparer pour la seconde au cas où. Faut
des moyens, et des moyens humains d’abord, parce que nous, on
n’en peut plus. Tirons les leçons de nos erreurs et
anticipons !
Ce culot des élus
et des élues… Venir affirmer sans honte avoir été
pris par surprise, qu’ils ne s’attendaient pas à
ça…
Du coup, la réponse
ne s’est pas fait attendre : confinement, télétravail,
fermeture des commerces non-essentiels, couvre-feu, surveillance et
contrôles renforcés et sanctions à la clé.
Trouvons-nous, nous
autres anarchistes, que ces mesures sont justes ?
Non.
Elles ne sont au
fond ni justes ni injustes. Elles sont nécessaires. Elles sont
nécessaires à défaut de mieux. Elles répondent
de manière inadéquate à l’imprévoyance
des politiques. Et nous n’allons pas non plus abaisser notre
seuil de vigilance. Le couvre-feu : il semble que l'efficacité
sanitaire en soit douteuse. Donc oui,nous conservons l'impression que
l’État bourgeois prend toutes les mesures qu'il juge
nécessaires pour limiter les libertés individuelles
(usine/caserne, école /caserne, interdiction de
manifestations, ordre de confinement à domicile, réglementer
les déplacements…) D’autant plus que les pleins
pouvoirs au gouvernement contrent les luttes et autorisent les
patrons à contourner les droits au travail : excès
de zèle, autoritarisme sanitaire, contournement du salaire
garanti, exagération dans la mise au chômage temporaire…
Non, les anars ne sont pas devenus de sages petits moutons dociles.
Y a-t-il un complot
des politiques ?
Non.
Depuis quelques
décennies, les politiques organisent la société
selon des critères économiques, favorisant le profit et
l’accumulation du capital dans les griffes dans d’un
petit nombre de nantis. Ce n’est pas un complot. Ces
agissements sont connus et se sont déroulés au grand
jour. Hélas, nous déplorons que la pandémie
permette d’accentuer encore d’avantage cette dynamique
d’oppression : depuis le début de la crise, le
nombre de chômeurs a augmenté de 186.000 unités,
constatait la Banque nationale en juin dernier. On sent les premiers
effets désastreux pour les prolétaires. Des réactions
de colère et des luttes sont à prévoir. À
espérer. Et nous en serons ! Sous le prétexte des
conditions exceptionnelles provoquées par la pandémie,
on a l'impression que les capitalistes et leur État mettent en
place un système de contrôle social. A nous,
travailleurs, travailleuses, avec ou sans emploi, de contester dès
aujourd’hui ce qu'ils jugent nécessaire, pour pouvoir
s’y opposer lorsque la situation sociale sera beaucoup plus
critique, lorsque la crise économique naissante plongera les
populations dans des conditions de vie calamiteuses et les poussera à
se rebeller contre tout ce qui représente le pouvoir politique
et économique.
Les mesures
prophylactiques préservent-elles les gens des risques
sanitaires ?
Tout le monde n’est
pas épidémiologiste. Alors dans le doute, le bon sens
nous incite à suivre le principe de précaution et à
respecter les règles de distanciation physique, le port du
masque, etc. même si c’est pénible, énervant,
contraignant, inconfortable. Parce qu’en l’occurrence, il
ne s’agit pas de sa propre santé, de sa propre vie, mais
1) du risque de contamination de personnes dont le virus pourrait
mettre la vie en danger ; 2) d’éviter la saturation
des services hospitaliers dont les conséquences constituent
également un danger pour les personnes atteintes d’autres
pathologies.
Voulons-nous
vraiment d’une société où il faut choisir
entre les malades que l’on soigne et les malades que l’on
va laisser sans soin ?
Et pourtant, cela ne
nous empêche pas de laisser libre cours à une société
où l’on choisit qui est mis à l’abri des
risques de contamination et qui doit continuer à y être
exposé.
Confinement,
télétravail… Oui, mais pas pour tout le monde.
Allons-nous continuer de faire semblant d’ignorer que tant de
travailleuses et de travailleurs sont tenus de demeurer entravés
in situ dans les chaînes du salariat, pour permettre à
l’économie de continuer à tourner ? La
pression sur ces travailleurs et travailleuses-là existe et
toute une série de mesures antisociales les contraignent à
continuer le turbin sur des lieux de travail où les conditions
sanitaires ne sont pas respectées. Les loisirs sont suspendus.
Y a plus que bosser que tu peux faire !…
Masqué·e·s,
nous le sommes, nous autres anarchistes du groupe Ici &
Maintenant, même si le respect des consignes ne fait pas
l’unanimité au sein de la Fédération
anarchiste. Pour certain·e·s, « l’État
ne peut pas m’obliger à porter un masque, et on n’est
même pas assuré que cela serve à quelque chose ».
Soit. Nous en revenons au principe de précaution. Certes le
respect des consignes, ça marche quand il est librement
consenti. Nous déplorons que ces mesures ne fassent l’objet
que de si peu de consultation auprès des populations
directement concernées, notamment sur le point du couvre-feu.
Nous pourrions d’ailleurs ne pas les respecter. Ce n’est
pas parce qu’un État nous indique quoi faire que nous
nous en acquittons servilement. Pour nous, la désobéissance
n’est pas un truc nouveau. Mais en ce moment, en attendant
d’obtenir des certitudes mieux établies, nous ne voyons
que la nécessité d’accomplir un devoir de
solidarité. Ni docilité ni obéissance à
une autorité que nous ne reconnaissons pas, et ce, pas plus
demain qu’aujourd’hui, pas plus qu’hier.
Car là se
situe un autre enjeu de taille : l’État, nous le
contestons depuis la naissance du mouvement anarchiste. L’arbitraire
des gouvernants, nous le combattions avant, nous le combattons encore
et nous le combattrons demain.
Le « monde
d’avant », nous l’avons combattu durant la
Commune de Paris, nous l’avons combattu en Catalogne en 1936,
nos frères et sœurs le combattent au Rojava, au Chiapas…
Le « monde
d’après », c’est pour cela que luttent
les anarchistes. Bien avant la crise sanitaire. Un monde d’après
véritablement adelphique, de frères et de sœurs.
Pas un monde d’après où des poignées de
révolté·e·s de la onzième heure se
bornent à restaurer l’exercice petit-bourgeois de
quelques privilèges de classe. Mais une organisation
égalitaire, libertaire, basée sur l’autogestion
et les assemblées. Le programme n’existe pas, il n’est
pas écrit à l’avance. Il reste à faire,
toujours déjà, par chacune et chacun, dans le
rassemblement d’une volonté collective qui préserve
les aspirations individuelles de chacune et chacun.
Groupe Ici &
Maintenant (Belgique) de la Fédération anarchiste
La manifestation du 13 septembre dernier à
Bruxelles pour un refinancement massif du secteur de la santé
est subitement revenue sur le devant de la scène médiatique
deux semaines plus tard. Non pas que le contenu des revendications
ait trouvé soudain un nouvel écho. C’est bien au
contraire la forme que la manifestation a prise au travers de
l’intervention de la police qui pose problème. Revenons
sur les faits !
Au
mois d’avril 2020, en plein confinement dû au Covid-19,
le collectif « La santé en lutte » lance
un appel au rassemblement qui aura lieu après l’été.
Suite à des coupes budgétaires successives durant les
dernières législatures, le personnel de la santé
entend dénoncer la dureté de ses conditions de travail,
amplifiée par la crise sanitaire de ces derniers mois et
soudainement révélée au grand jour par la
surmédiatisation des effets du coronavirus. Durant cette
période, il n’est pas inutile de rappeler que les
travailleuses et les travailleurs des soins de santé sont
présentés comme des « héros »
sur le front de la crise, soutenus au quotidien par des
applaudissements.
Nous
sommes la deuxième semaine de septembre et le grand jour
approche. Le collectif s’active sur les réseaux sociaux
pour faire circuler une pétition à l’attention de
Philippe Close, bourgmestre de la ville de Bruxelles, qui entend
interdire tout rassemblement au nom des mesures sanitaires.
L’autorisation de manifester est finalement accordée,
moyennant quelques règles (pas de cortège mobile,
regroupement des manifestants par bulles de 400 personnes et port du
masque obligatoire avec distance physique).
Dimanche
13 septembre, 13h00. Un soleil estival chauffe chaleureusement la
place de l’Albertine et le Mont des Arts. De nombreux
collectifs bien identifiables par leur banderole convergent au son de
cris et de chants. Quelques militants, dont des anti-masques,
distribuent des tracts aux personnes rassemblées dans
l‘attente du début de l’événement.
Nous rejoignons un groupe d’une vingtaine de personnes tout de
noir vêtues et reconnaissables aux quelques drapeaux noirs
arborés fièrement. Un cortège se forme alors et
se met lentement en marche sur le boulevard de l’Empereur,
scandant des slogans au rythme des percussions. Dans une ambiance
festive, les manifestants battent le pavé. Mais le cortège
est subitement contraint à l’arrêt quelque 100
mètres plus loin au niveau de la rue des Alexiens. Un
important cordon policier, avec casques et boucliers, renforcé
de nombreux véhicules, empêche tout passage, badauds et
touristes compris. Le cortège à l’arrêt, le
carrefour se transforme alors en lieu de fête. Des manifestants
dansent au rythme des tambours. Certains lancent des slogans
dénonçant la marchandisation de la santé. Tandis
que d’autres font gentiment face aux policiers déployés
en formation. Après une petite heure d’une confrontation
feutrée, les manifestants reprennent le chemin du Mont des
Arts où se donnent quelques discours de clôture par des
camarades du secteur soignant. La foule se disperse alors,
tranquillement. Certains profitent encore du soleil bien présent
pour boire un verre et discuter de l’événement.
S’il n’y a pas eu de signal officiel, chacun sent que
c’est la fin et pense doucement à prendre le chemin du
retour. C’est alors qu’un important effectif policier se
met en place, avançant en formation serrée vers la
place de l’Albertine, bousculant de leur bouclier passants et
manifestants, vociférant un mélange de consignes
données entre policiers et d’injonctions froides
adressées aux gens. Rapidement, deux cordons de policiers en
combinaisons antiémeutes, soutenus par d’autres en civil
matraques à la main, scindent le Mont des Arts et la place de
l’Albertine. Des véhicules et une autopompe sont en
position. Parmi les manifestants, la surprise est générale,
aussi grande que l’incompréhension. La manifestation
prenait fin pourtant… À quoi bon ce déploiement
soudain ? Certaines personnes désirent traverser la rue.
Elles sont froidement prises à partie. Une rumeur circule
disant que la police laisse partir le personnel soignant et vise les
« gauchistes ». La tension monte. Elle est
palpable. Des chants à l’encontre de la police se
répondent de part et d’autre du cordon. « La
police déteste la santé » ; « Nous
avons soigné ta mère, ton père et ta femme » ;
« Tout le monde déteste la police »,
etc. Sur le Mont des Arts, la police nasse les occupants. Alors que
le mouvement se disloquait, marquant une fin des évènements
assurée, la police a soudainement redynamisé les
ferveurs. La foule s’est faite à nouveau plus dense. Et
une question se partage parmi toutes et tous : pourquoi une
telle provocation des flics ? Je retrouve certains camarades
perdus plus tôt. Ils ont été témoins
d’arrestations violentes plus loin dans le centre de Bruxelles.
Plaquages, matraquages, arrestations arbitraires. Un camarade a été
pris en charge par les « street-medics », la
tête ensanglantée. Tandis qu’au Mont des Arts la
police se retire soudainement après une demi-heure de
confrontation. Un repli aussi soudain que son arrivée qui
alimente cette impression que la police voulait en découdre.
Le
lendemain, la presse se fait écho d’un rassemblement de
4000 manifestants (voire 7000 selon les sources) qui s’est
déroulé sans heurt, dans une ambiance festive. Puis
c’est le silence radio dans la presse officielle.
Sur
les réseaux sociaux, c’est un autre son de cloche. Des
témoignages et des photos circulent, attestant d’une
violence policière arbitraire et aveugle en marge de la
manifestation. Près de deux semaines plus tard, ce sont des
images diffusées par LN24 qui poussent Philippe Close à
réagir et à écarter
le commissaire Vandersmissen le temps d’une enquête
interne. Dans un même temps, la presse relaie des récits
de violences policières partagés sur les réseaux
sociaux, confrontant la version de la police à celle des
manifestants.
Quelles
leçons pouvons-nous tirer d’une des premières
manifestations post-confinement ?
Tout
d’abord que la police joue parfaitement son rôle de
déclencheur-catalyseur de violences. Légitimée
par son statut, la police se donne le droit de créer de la
tension, d’intervenir par la répression et d’agir
de telle sorte qu’elle va à l’encontre des mesures
sanitaires (arrachage de masques de manifestants ; regroupement
des manifestant en nasse générant une proximité
inutile). En somme, la police crée les conditions même
de son existence dans un cycle de tension-violence-répression
auquel elle participe activement. À nouveau, la police nous
démontre que son intérêt ne réside pas
dans la défense du peuple mais dans le maintien d’un
ordre tel qu’il est définit par l’État
oppresseur. Accessoirement, devons-nous nous inquiéter du fait
que les manifestants de la gauche radicale soient ostentatoirement
pris pour cible lors du déploiement policier ? Et si
cette confrontation avait dégénéré,
n’aurait-ce pas été cette même gauche
radicale qui aurait été tenue responsable des heurts ?
Il n’y a qu’un pas à franchir pour penser qu’il
s’agit là d’une stratégie délibérée
de la police afin de diaboliser les mouvements libertaires.
La
seconde leçon réside dans le pouvoir des réseaux
sociaux et l’usage des images privées qui y sont
relayées. C’est en effet la force des témoignages
et des images prises par les manifestants qui a permis de mettre à
jour le comportement provocateur et violent de la police, ainsi que
les révélations de dérives telles que la
présence d’un civil en train de gazer un manifestant en
présence du commissaire Vandersmissen. Plus généralement,
les photos ou vidéos prises individuellement grâce à
l’usage des smartphones et diffusées récemment
constituent autant de preuves du comportement raciste, sexiste et
arbitraire d’une police qui se sent légitime d’utiliser
la violence de façon unilatérale. Rappelons également
que ce sont d’autres images qui sont à l’origine
de l’affaire Chovanec, mettant crûment à jour la
mise en scène d’un salut nazi pendant qu’un homme
est en train de mourir, le tout réalisé par la police
aéroportuaire de Charleroi. Si chacun de ces actes, une fois
révélé au grand jour, est condamné par
les autorités policières et politiques, qualifiés
d’actes isolés et impardonnables, il reste néanmoins
bon nombre de situations laissées à la lueur des
réseaux sociaux, sans condamnation aucune et qui démontrent
la propension évidente de la police à l’usage de
la force, de la violence verbale et physique, du profilage ethnique
ou politique, d’intimidations et de provocations, etc. Afin de
poursuivre dans cette prise de conscience massive que la police n’est
que le bras armé d’un État oppresseur, nous ne
pouvons qu’encourager ces initiatives individuelles de prendre
en image la police en flagrant délit de répression.
Nous en avons le droit, jouissons-en !
La leçon la plus importante reste avant
tout la mobilisation qu’a pu mettre en œuvre le
collectif « La santé en lutte ». Nous
étions en droit d’espérer un soutien massif de la
population suite à la mise en évidence par les médias
des conditions de travail dans les hôpitaux durant la période
de confinement. Si quelques milliers de manifestants semblent peu
face à l’importance des enjeux, le collectif préfère
tirer un bilan positif de cette manifestation1
et encourage à rejoindre les actions à venir afin de
faire entendre leurs revendications2.
Cela peut être notamment en participant à leur prochaine
assemblée générale du 15 octobre à
Bruxelles3.
Quant au collectif, créé au printemps 2019, nous nous
réjouissons qu’il soit le résultat du
rassemblement des travailleuses et des travailleurs de la santé,
qu’il revendique une autonomie et un mode d’organisation
en assemblée et qu’il décide de l’agenda de
ses actions sans se soucier de l’aval des syndicats et des
partis politiques. Parce qu’il défend des soins de santé
humains et solidaires, tout en dénonçant la logique
comptable et marchande qu’imprime le Capital dans les
structures de soin, le groupe Ici et Maintenant soutient le collectif
et les actions de « La santé en lutte ».
Groupe
Ici & maintenant de la Fédération anarchiste
1
Voir le communiqué du collectif via le lien suivant:
https://lasanteenlutte.org/bilan-de-la-manifestation/
Courriel envoyé à à la rédaction de Syndicats, journal de la FGTB.
Alors que la première ministre - une libérale
pourtant ! - parle de « distance de sécurité »
et de « distanciation de sécurité »,
plusieurs des articles du magazine mensuel de la FGTB Syndicats
parlent de « distanciation sociale » !
La
formulation des choses confine à l'absurde dans un des
articles où il est question de mesurer la « distanciation
sociale » en mètres !...
Trouver
une telle expression dans les pages du journal d'un syndicat
socialiste est inadmissible. Invoquer comme excuse qu’il s’agit
d’une expression relevant de l’usage courant ne l'est pas
non plus. J'en veux pour exemple que le gouvernement, lui, fait
attention à un usage approprié du mot social et parle
systématiquement de distance physique !
Surtout
que, si on réfléchit un peu, on comprend que
l’expression de « distanciation sociale »
n'a pas le sens qu'on veut lui donner. Si en Belgique il y a encore
des nobles, pour autant, il n'y a plus de distance sociale qui
contraindrait le peuple à respecter une étiquette
dégradante. Par ailleurs, il n'y a pas non plus de castes. En
revanche, il y a bien des classes sociales et une distance sociale,
un conflit, entre exploiteur.euse.s et exploité.e.s, et l’un
des buts premiers de la FGTB est de les détruire à
jamais.
Dans
le cadre d'une épidémie, il convient de respecter une
distance physique ou d’établir une barrière
physique pour se protéger. On peut donc parler de distance
physique, de distance de sécurité, de distance
hygiénique ou, plus pédant, de distance prophylactique.
Pas de distanciation sociale.
À
cause du confinement, des distances de sécurité et du
port du masque, il nous manque justement le contact social nécessaire
aux humains. C’est cela dont nous avons été
privés. Nous sommes une espèce sociale (comme l'a
rappelé la première ministre, encore une fois c'est une
libérale qui souligne ce fait, alors que j'ai entendu des
personnes de gauche parler de distance sociale… Un comble !)
Il n'est donc pas question de diminuer les contacts sociaux, mais au
contraire de les augmenter par tous les moyens disponibles ... en
respectant la distanciation de sécurité ou la
distanciation physique, pour parler comme le gouvernement (une fois
n’est pas coutume !)
Dans
le numéro de Mai 2020 du magazine Syndicats, cet
affront à nos valeurs a été perpétré
moultes fois :
-
en page 6 dans l'article "Que faire des enfants après le
déconfinement ?"
-
en page 9 dans l'article "FGTB à votre service"
-
deux fois en page 20 dans l'article "La sécurité
n’est toujours pas garantie dans le secteur des
titres-services", où on exprime la distance sociale en
mètres !
-
en page 25 dans l'article "L’aéroport de Liège,
tête de pont"
-
trois fois en pages 30 et 31 dans l'article "Retour au boulot...
mais pas sans protection" où on parle pourtant
"d'exploiter au maximum la concertation sociale" ce qui
constitue enfin une utilisation correcte du mot… !)
-
et enfin deux fois en page 32 dans l'article "Le masque : une
obligation ? Un outil essentiel de protection"
Inutile
de faire la liste de ces négations des principes de base de la
FGTB dans le numéro d'avril, tout le monde aura compris de
quoi on parle.
On
pourra bien dire : c’est un détail, mais on le sait, le
diable se cache dans les détails. Y a de quoi être
vraiment déçu que la rédaction n'ait pas veillé
à corriger cette utilisation inappropriée du mot social
dans les articles publiés !
En
solidarité... quand-même !...
Jacob,
groupe Ici Et Maintenant de la Fédération Anarchiste
Et
maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Où est-ce qu’on
en est à présent ? Dans l’entre-deux du
confinement. Pas encore tout-à-fait déconfinés,
déconfinées. Pour ça, faudrait quand-même
le feu vert pour des retrouvailles sans barrière ni distance
avec la familles, les amis, et de se côtoyer dans les restos,
les bistros, les cinés, les théâtres, les
concerts. Et puis sans doute qu’il faudrait arriver à
comprendre les intérêts de chacun, de chacune. Jamais,
ou rarement, il n’a semblé aussi compliqué de
faire le tri. On vient de vivre un gros truc. Le machin qui tiendra
un peu de place dans les livres d’histoire. Peut-être pas
tant que ça finalement. Mais tout de même un peu. Une
fois dans l’histoire, la première, la population
mondiale, en grande partie, a été invitée à
demeurer confinée, c’est à dire à rester
enfermée chez soi, ce qu’elle a fait avec une docilité
qui pourrait rendre perplexe. Pas la population d’une ville,
pas la population d’un pays. Non, plus, beaucoup plus. Au 24
mars, le chiffre de 2,6 milliards de personnes a été
avancé (par exemple par LCIiciou
2,45 milliards par La
Tribuneici).
Cela signifie qu’en soi, la pandémie en elle-même
n’est pas tellement l’événement majeur,
mais bien plutôt le confinement généralisé.
D’autres pandémies ont eu lieu dans le passé,
aussi contagieuses, aussi meurtrières. Et d’autres
malheurs par
ailleurs.
Les guerres, les génocides et les famines, sur ce point,
conservent de très loin leur place en haut du classement. Ce
qui, par ailleurs, ne signifie pas que la pandémie ne
constitue qu’un aspect anecdotique des événements
toujours en cours. Indubitablement, la pandémie représente
le fait central : un virus transmis de l’animal à
l’humain (zoonose) a commencé à infecter une
quantité significative de personnes au début l’année
2020. Le foyer se situe à Wuhan, en Chine. La propagation du
virus à l’échelle a probablement été
favorisée par les moyens actuels de déplacement
(l’avion, en premier lieu). Jusque là, peut-on dire que
tout cela aurait pu être évité ? Pas sûr.
Pas sûr du tout. Du moins, cela dépend des critères
que l’on adopte. Il aurait fallu éviter de bonne heure
l’extension sans mesure de l’activité et de la
présence humaines, rognant sans cesse l’habitat naturel
d’espèces animales sauvages. On peut renvoyer à
une vidéo de Marc Bettinelli, publiée le 19 avril 2020
sur le site du journal Le
Mondeici.
Il aurait fallu changer de manière brutale et radicale les
modalités contemporaines de l’échange, du
commerce, de la consommation, de la mobilité, à
l’échelle planétaire. Autant dire : peine perdue.
De
plus en plus de gens sont tombés malades. Gravement. En Chine,
d’abord, on l’a dit, puis en Italie, puis dans toute
l’Europe et le monde entier. Des régions auront été
moins impactées que d’autres. C’est un autre fait.
Mais les pays d’Europe et les Etats-Unis ont senti un vent de
panique leur souffler dans les bronches en voyant qu’on avait
peut-être, dans le discours officiel des instances politiques,
minimisé la gravité de la maladie. Le corona virus, on
en meurt. Les personnes fragilisées, les plus âgées,
s’avèrent les plus en danger. La courbe des morts s’est
mise à grimper, en Italie, en Espagne, en France, en Belgique.
Le personnel soignant s’est retrouvé en première
ligne, subissant les conséquences d’une vingtaine
d’années de politiques néolibérales,
d’austérité, de réduction du personnel, de
restrictions et de coupes budgétaires. Tout cela aurait-il pu
être évité ? En grande partie, probablement. Il
aurait fallu refuser de considérer des secteurs prioritaires
comme l’éducation, la lutte contre les inégalités
sociales, et la sécurité sociale, à quoi il faut
rattacher le secteur des soins de santé, comme des secteurs
secondaires, ou susceptibles d’être soumis aux principes
de la rentabilité et de la compétitivité. Là
où le capitalisme voit des dépenses, il aurait fallu
parler d’investissement dans le capital humain. Encore que
l’expression
soit déplaisante au possible. Juste se demander : à
quoi sert la prospérité ? Non, mieux : à
quoi bonla
prospérité si l’éducation, la qualité
de vie de l’ensemble de la population, l’accès aux
soins de santé, ne demeurent pas l’objectif même à
atteindre ? Qu’est-ce qui demeure central, toujours et partout,
ici
et maintenant,
si ce n’est la santé, le bien-être, le savoir ? A
cet égard, la solidarité constitue à la fois le
moyen et le but, si l’on aspire à une société
où ces communs, ces biens, sont destinés à être
partagés avec le plus grand nombre. Et non réservés
à une élite. Pas même au mérite ! La
santé, le bien-être, le savoir sont des dus. Même
le pire des connards ou la pire des crapules ne devraient pas pouvoir
en être privés. Il faut aspirer à une solidarité
sociale qui ne laisse personne en arrière, et non à la
prospérité économique. Le
ruissellement, ça ne marche pas.
Beaucoup
de victimes à déplorer, à ce stade, on ne va pas
se cacher la vérité. Les chiffres ne dispensent pas de
penser. Mais on peut commencer avec eux, au moins pour se faire une
idée. Sans oublier tout
le reste.
Parlons pas de dommages collatéraux : le stress, l’épuisement,
la détresse, du personnel médical, des familles des
victimes… Ces gens qui ont du vivre leurs derniers moments
dans l’isolement… Les personnes atteintes d’autres
types de pathologie qui ont dû compter avec des services
débordés… Ces victimes là, pourra-t-on
les dénombrer un jour ? Celles et ceux, ouvriers, employés,
qui ont poursuivi une activité professionnelle dans un secteur
reconnu prioritaire, pour des raisons économiques
(entreprises) ou simplement parce qu’il s’agit de
commerces de première nécessité... Le personnel
a continué à bosser, on n’est pas certain du tout
que les conditions de sécurité sanitaire aient toujours
été respectées... Le chiffre de 75%
d’entreprises contrôlées qui s’avèrent
être en infraction est avancé par le journal Le
Soir
le 8 mai 2020 ici.
Les autres commerçants et commerçantes, ce qu’on
appelle les petites et moyennes entreprises, ou encore les petits
indépendants, au premier rang desquels le secteur Horeca, vont
probablement peiner considérablement pour rattraper la perte
énorme de la période de confinement. Si
seulement cela pouvait leur inculquer l’intérêt de
la lutte sociale et que nul n’a à y gagner dans
l’exploitation de la force de travail d’autrui !…
Quant
au secteur culturel, il s’apprête aussi à sortir
les grandes rames pour galérer - voire continuer à
galérer de plus belle : artistes,
comédiens, comédiennes…
L’école, qu’en dire ? Les gosses auront perdu une
partie de leur scolarité. On peut essayer de rattraper cela ou
se dire qu’ils auront peut-être appris autre chose de
cette période. A moins de se demander s'il n’est pas
temps de commencer à leur enseigner autre chose, et autrement.
Il
est possible de craindre un tsunami psychologique dans les semaines à
venir, conséquence des conditions de confinement (isolement,
stress, anxiété, deuils douloureux, conditions liées
au télétravail, etc.) comme indiqué dans un
titre de La Libre ici.
Bref, comme des cons, déconfiné·e·s, mais
pas sorti·e·s de l’auberge. Pas
de prise de position en l’occurrence, simplement un panorama
des craintes et des plaintes qu’on entend un peu partout, dans
toutes les couches de la société.
Les
conséquences de la crise risquent de se faire sentir
profondément, à plus d’un titre, et il est encore
trop tôt pour les calculer : accroissement des inégalités,
augmentation des troubles psychologiques liés au
confinement,... Une crise sociale et économique se profile à
l’horizon et la meilleure, c’est qu’en fait, ce
sera la conséquence d'une crise économique que les
gouvernements et le patronat comptent bien faire payer à la
population, à coup de nouvelles mesures d’austérité.
Parions que sous peu on va nous faire le coup d’en appeler à
notre civisme et à notre sens des responsabilités pour
accepter les sacrifices qui favoriseront hypothétiquement la
relance économique. Reprendre la croissance où on
l’avait laissée. Retour à la normale. On veut
bien qu’il a fallu suspendre une partie de l’activité
économique, mais maintenant ça suffit, il faut fermer
la parenthèse et repartir du bon pied. Tel
est le discours que la classe politique, dans son allégeance à
la FEB et au grand patronat, sert de bon cœur à une
population traumatisée, qui peine à penser l’exercice
de ses libertés dans de telles conditions. On a gardé
les bêtes à l’étable une grande partie du
printemps, elles trépignent à l’idée de
ressortir à nouveau. Et quand elles peuvent enfin retrouver le
plein air, ce qui les attend, c’est le joug et le labour. Et
les magasins.
Est-ce
qu’on n’aura rien appris de cette parenthèse ?
Est-ce qu’à la clé, on y trouve une forme de
prise de conscience des futur·e·s lésé·e·s
de l’affaire ? Faudrait donc penser qu’à l’inverse
du discours encourageant à la reprise, on trouve des paroles
de révolte, de colère, de rupture avec le modèle
qui nous a conduits là. Seulement voilà, on se trompe
en pensant qu’il suffit de dire que rien ne sera plus jamais
comme avant. Parce qu’il ne suffit pas de le dire, et
d’une, pour que cela se passe – c’est le travers du
performatif pathétique. Mais aussi, de deux, parce que c’est
oublier que beaucoup, beaucoup, vraiment beaucoup de monde appelle de
ses vœux un retour “à la normale”. Quelle
normale ? Les habitudes de consommation, de mobilité et de
loisirs, pardi (qui toutes reposent sur un certain mode de production
des biens) ! Les magasins, la bagnole, les sorties, et peut-être
même le travail, d’une certaine façon. On risque
donc bien de n’avoir rien appris, de tout ça. Sauf
peut-être sur soi-même. Mais celles et ceux-là
savaient déjà qu’ils et elles aspiraient à
sortir de la société de consommation, des énergies
fossiles, du stress, du bruit, de l’esclavage salarial, de la
pollution, du gaspillage, de la maltraitance environnementale, des
inégalités sociales, de l’éducation qui
les reproduit, des inégalités de richesse qui les
entretient, et de l’absence d’alternative politique pour
favoriser la révolution sociale. “Après le Covid,
la colère”, et puis après ? On va aller vers où,
vers quoi ? Mettons que la colère soit largement partagée,
dans la population, depuis les plus démunis jusqu’à
la classe moyenne supérieure ? Déjà ça,
c’est pas gagné. Parce que tout le monde n’est pas
en colère pour les mêmes raisons, et n’aspire pas
aux mêmes solutions. Parce que pour certains, le retour à
la normale, c’est avant tout aussi le retour d’un certain
nombre de privilèges (qui n’avaient pas été
complètement perdus, n’est-ce pas, juste suspendus dans
le pire des cas). Alors on laisse de côté les classes
moyennes supérieures ? Voire les classes moyennes dans
leur ensemble ? Et on vise quoi, on vise qui ? Seulement les
classes laborieuses et les chômeurs ? Il y a fort à
craindre que ça fasse pas grand monde, au final. Il importe de
bien se poser la question : cette crise est-elle un catalyseur ? Et
si oui, de quoi ? Et pour qui ?
Par
décence, il ne pourra pas être dit que la pandémie
aura eu de bons côtés. La pandémie en elle-même,
non. Bien entendu. Tout en nous se révolte à l’idée
même de le penser. Mais le confinement, demandions-nous plus
haut ? Mais la mise à l’arrêt de la frénésie
de nos comportements en matière de consommation, de mobilité,
de production, de loisirs / divertissements
? D’accord, on
a mis sur pause et ça a eu du bon.
La
pollution a diminué de manière considérable,
comme
le signalent les observations de l’Agence spatiale européenne,
ici.
Pollution sonore, aussi. Mais
si rien ne change ? Une minorité (composée
d’adeptes de la décroissance et de contestataires) se
retrouve au pied du mur, contrainte
par ce retour à la normale à sacrifier, oublier,
abandonner, mettre au rencart une bonne fois pour toutes ce moment
suspendu où les bagnoles et les avions ont interrompu
provisoirement leur va et vient frénétique. Reprendre
chacun sa place dans le trafic. Rappelons que le 1% à qui
profite ce mode de vie, reposant sur le travail d’autrui, ne
subit pas l’inconfort des files d’attente et des
embouteillages. Et quand ça se produit, ce n’est pas de
la même façon. Retrouver les caddies remplis de denrées
emballées, suremballées, importées de loin,
voire de très loin, mais pour pas cher parce que la main
d’oeuvre, là-bas,
c’est pour rien. Retrouver le chemin du travail, avec ses
horaires, son métro, ou auto, boulot, dodo, ses relations
hiérarchiques toxiques et malveillantes, mais en fait,
par-dessus tout, la contrainte d’y passer un temps dingue à
y faire quelque chose, qu’on aime ou qu’on n’aime
pas, pour gagner de l’argent (qui permet de rembourser les
crédits), sans pouvoir consacrer ce temps-là à
reprendre le pouvoir sur sa propre existence. Perdre sa vie à
la gagner, air connu. Mais toujours si peu contredit ! Cette
nécessité impérieuse du temps d’occupation
du travail relève de l'évidence la moins remise en
question, sans doute parce qu’on craindrait trop de se demander
si l’on trouverait à quoi s’occuper sans cela. Le
confinement a été contraint, par décision
politique, en se fondant sur le
ressort de la peur,
principalement. Et en jouant sur celui de l’autorité
des experts.
Les libertés fondamentales ont été suspendues,
et la docilité des populations a été eu
rendez-vous. Qui aurait cru cela possible : suspendre toutes nos
activités quotidiennes, travail école, consommation,
mobilité, rassemblement, etc. ? On dira : il a bien
fallu. Oui, il a bien fallu. Peut-être existait-il des
alternatives. Dans l’urgence, pour soulager les travailleurs et
travailleuses de la santé, il a bien fallu faire preuve de
responsabilité. Mais nous autres anarchistes, nous pensons que
de telles décisions pourraient être prises par
consensus, en assemblées, sur le mode du communalisme
libertaire par exemple. Non sur le mode de la posture martiale
(« Nous sommes en guerre ») ou de l’autorité
bienveillante (« C’est pour votre bien »).
A
quoi conduit l’obéissance, tout de même.
Certainement pas à la rupture en tout cas. Et maintenant,
qu’est-ce qu’on fait ? Rester chez soi, pour y disposer
d’un temps de loisir de qualité ? Le confinement n’aura
pas pu nous l’apprendre parce que c’est arrivé
sous contrainte. Et parce que le télétravail a rattrapé
bon nombre des confinés, assignés à résidence
avec nécessité de continuer à rendre des comptes
à un employeur. Oui,
nous sommes ou serons bientôt libres de circuler à
nouveau, de nous rassembler, de nous réunir. Mais nous
retrouvons aussi tant d’obligations, d’impératifs,
d’ordre établi. La distanciation des contraintes ?
Le volet positif de la soi-disant « distanciation
sociale ». Oui, aux yeux de certain·e·s, le
confinement aura représenté une opportunité,
peut-être provisoire, peut-être illusoire, de bousculer
l’ordre établi.
Le
confinement nous aura-t-il appris la décroissance ? Non,
certainement pas. Parce que la décroissance, c’est pas
ça. On résume souvent par le slogan : “Moins de
biens, plus de liens.” Or les liens, justement, c’est là
que le bât a blessé. SI seulement on arrivait à
se dire que ce ne sont pas les magasins qui nous ont manqué,
mais que c’est de pouvoir rencontrer la famille, les amis, les
serrer dans nos bras, leur taper sur l’épaule, ou
d’aller au théâtre, au cinéma ou au bistro,
à la bibliothèque, au foot ou au resto... Peut-être
ainsi sortirions-nous un peu grandi·e·s de l’épreuve.
Et bien décidé·e·s à affronter
tout ce qui limite notre faculté à faire société
de manière solidaire.
Pour
préparer le terrain d’un futur changement, appeler à
l’insurrection est vain. Puéril même. Le temps de
la propagande par l’écrit et par l’exemple est
venu. En constituant à de petites échelles, parfois
simplement au niveau de la cellule familiale, avec des collectifs,
des groupes de quartier, des expériences alternatives, il se
peut que l’inspiration en gagne d’autres. Cela ne peut et
ne doit exclure d’autres voies, résolument collectives à
l’échelle sociale. Mais il ne saurait être
question d’attendre ce changement pour commencer à le
vivre, même partiellement. C’est une question de
désobéissance individuelle. Et aussi d’honnêteté
et d’intégrité. Et maintenant, alors, qu’est-ce
qu’on fait ? On va commencer par énoncer ce qu’on
ne veut plus, de quoi on ne veut plus, et de quoi demain pourrait
être fait. Et au lieu d’écrire un programme, il
convient d’expérimenter localement des modes de vie
en rupture avec les habitudes de consommation, de mobilité, de
loisirs, de politique aussi, qui entretiennent l’illusion
de la croissance et de la production comme vecteurs de la prospérité.
L’anarchisme en cela est une pensée éminemment
dynamique. Elle n’est pas figée, elle ne se
recroqueville pas sur un programme, ou sur des modèles ou des
autorités doctrinales passées ou présentes. Elle
est par nature expérimentale. Elle teste, s'adapte, obtient
des succès, se trompe aussi parfois. Et quand elle se trompe,
elle tâche de tirer parti de ses erreurs. On ne sait pas
répondre avec précision, quand on est anarchiste, à
la question : et maintenant qu’est-ce qu’on fait ? Car la
réponse n’est pas écrite à l’avance.
Elle s’écrit en cours de route, en chemin, en
expérimentant la liberté, l’égalité
et la solidarité, sans maître ni dieu. Vers une société
juste, sans pouvoir ni privilèges, mais privilégiant
les capacités de chacune et chacun, dans le respect de
l’environnement et de l'humain.
Chélidoine.
Groupe
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